Soi et l'autre : De la révolte à l'espérance
En dépit d’un moment phénoménologique commun, la souffrance n’est pas le désespoir. Il est remarquable qu’un même mot signifie à la fois, en latin, souffrir et endurer. Il faut entendre moins, par cette endurance, une crispation stoïque de la volonté qui tente de dominer le mal, que la patience de celui qui s’avoue présentement vaincu mais n’a pas renoncé définitivement, fût-ce au prix d’une aide extérieure, à vaincre à son tour. Cela ne suffit peut-être pas, il est vrai, à distinguer la
souffrance du désespoir. Aussi Ivant préfère-t-il opposer un désespoir « découragé » et un désespoir « révolté », un désespoir qui s’abandonne à soi et un désespoir qui s’élève contre cette première tendance et s’efforce en vain de sortir de soi. Mais, là où cet effort existe, peut-on parler de désespoir? La souffrance proteste contre sa propre existence : c’est elle qui nous empêche de céder au découragement qu’implique toujours le désespoir. Endurer n’est pas consentir. Médiation décisive sur le chemin qui mène de la souffrance à l’espérance, rendu- rance n’en a pas moins d’abord la forme de la révolte. Elle prouve que la souffrance est le prime et ultime ennemi de la souffrance. C’est pourquoi il faut renvoyer dos à dos la théorie nietzschéenne du ressentiment et la théorie freudienne du masochisme. la douleur même que cherche le masochiste —comme les réactions thérapeutiques négatives évoquées par l-redu dans l’article où se trouve, pour la première fois, introduite la notion de « pulsion de mort» — n’est qu’une manière d’échapper à une douleur plus grande, inconciliable, elle, avec la jouissance, et qui est proprement ce qu’il faut nommer souffrance. Y a-t-il d’ailleurs davantage, dans la « pulsion de mort: », que la répulsion originaire de la souffrance à l’égard d’elle-même? La « tendance à la répétition » que révèle, chez certains patients, leur attachement pathologique au passé, ne contredit nullement cette hypothèse. La régression, loin de les expliquer, fait elle-même partie des « mécanismes de défense » mis en œuvre par le sujet. Imaginons même que la mort soit le sens de la vie; supposons autrement dit que la vie ne soit qu’une tentative désespérée pour se séparer de soi : il reste alors à expliquer comment l’homme qui souffre, en tant qu’il souffre, ne préfère pas toujours la mort à la vie. Peut-être faudrait-il parler ici non d’une économie pulsionnelle mais d’une économie spirituelle qui double la précédente et prend son relais dans toutes les situations, ou, comme, dans la souffrance, elle cesse d’être opérante.