L'inconscient :Inconscience et inconscient
Avant d’aller plus avant, je sais à quel point ces réflexions philosophiques sembleront vaines à tous les adeptes de la psychanalyse qui s’abriteront, au choix, derrière la souffrance des malades (que je ne nie pas) s’ils veulent paraître moraux, ou derrière l’existence de faits inconscients (ce que je ne nie pas non plus) s’ils veulent paraître savants. Mais ce qu’il est facile de nier et de dévoiler, c’est l’incroyable confusion que fait Freud entre inconscience et inconscient lorsqu’il écrit : « ce sont deux choses différentes, que quelque chose se passe dans ton âme, et que tu en sois par ailleurs informé. ». Cette formule, fort nietzschéenne au demeurant, ne prouve en rien l’existence de l’inconscient ; on pourrait même s’amuser à utiliser la même logique que Freud pour lui rétorquer :• « ce sont deux choses différentes que ne pas prendre conscience de quelque chose et de le refouler dans l’inconscient », mais comme souvent, en psychanalyse le simple rapprochement de sens ou de terme semble suffire à prouver l’hypothèse.
« Il y a de la difficulté sur le terme d’inconscient. Le principal est de comprendre comment la psychologie a imaginé ce personnage mythologique. Il est clair que le mécanisme échappe à la conscience, et lui fournit des résultats (par exemple, ¡’ai peur) sans aucune notion des causes. En ce sens la nature humaine est inconsciente autant que l’instinct animal et par les mêmes causes. On ne dit point que l’instinct est inconscient. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a point de conscience animale devant laquelle l’instinct produise ses effets. L’inconscient est un effet de contraste dans la conscience. On dit à un anxieux : Vous avez peur ce dont il n’a même pas l’idée ; il sent alors en lui un autre être qui est bien lui et qu’il trouve tout fait. Un caractère, en ce sens, est inconscient.
Un homme regarde s’il tremble afin de savoir s’il a peur. Ajax, dans l’Iliade, se dit : Voilà mes jambes qui me poussent I Sûrement un dieu me conduit ! Si je ne crois pas à un tel dieu, il faut alors que je croie à un monstre caché en moi. En fait l’homme s’habitue à avoir un corps et des instincts. Le psychiatre contrarie cette heureuse disposition ; il invente le monstre ; il le révèle à celui qui en est habité. Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont toujours ce qu’il y a d’indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par là que ce genre d’instinct offrait une riche interprétation. L’homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de pensées en nous, sinon par l’unique sujet, Je. »
L’intérêt de ce texte est de nous faire comprendre à quel point il est facile de tomber pour chaque conscience dans l’illusion qu’il existe « un autre moi » à l’intérieur d’elle-même puisque par définition la conscience est à la fois recul et représentation ; et par cela même faculté de dédoublement. Prendre conscience consiste en effet à se représenter soi-même les effets de sa conscience ; or ces effets sont parfois obscurs ou étranges car ils sont justement les résultats d’instincts, de réflexes ou de tout autre élément ou réactions inconscientes. Croire à l’inconscient psychanalytique consiste alors à confondre la prise de conscience de réactions inconscientes avec l’hypothétique existence d’une faculté cachée qui produirait ses mêmes effets (sous le nouveau nom de signe ou de symptômes). Ainsi si l’on a peur, et que l’on n’est pas habitué à ce sentiment où que l’on refuse ce sentiment ; il serait aisé grâce au recul et à la représentation que la conscience permet de l’attribuer à une cause qui ne me met justement pas en cause : au choix, le ça, le surmoi, le subconscient ou l’inconscient. La croyance à l’inconscient est en ce sens une forme d’idéalisme qui réintroduit une âme cachée au sein de chaque partie du corps, où chaque réaction physiologique est réinterprétée de façon symptomatique et psychologique. Il y a ici un cercle à la fois vicieux et spécieux où chaque réaction est aussitôt réinterprétée comme symptôme et preuve de l’inconscient, et le prétendu inconscient pris comme cause du symptôme qui donne cette réaction que chacun peut voir. Mais cette rhétorique tautologique ne prouve rien et se contente d’exposer des cas (c’est-à-dire des réactions) qu’elle essaye de faire passer pour principe. L’illusion de la conscience consiste ici à donner une existence à ce qu’elle croit ; et à y croire d’autant plus fort que cette existence semble pouvoir expliquer ou excuser ce qu’elle voit ou ressent. Ce procédé se retrouve aussi dans tout système de croyances et superstitions qui interprète le monde comme un système de signes cachés par une puissance obscure et seulement accessible à un certain nombre d’élus – ce que semblent croire et faire croire un certain nombre de thérapeutes. À partir de cela, il est alors difficile, pour Alain, de voir autre chose dans l’hypothèse de l’inconscient psychanalytique qu’un « art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ».
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