Herméneutique et phénoménologie : Muthos et logos
écrit le: 28 janvier 2015 par admin
Non que le mythe ne nourrisse la même ambition : sa fonction est précisément d’intégrer une expérience humaine discordante et dispersée dans un récit dont la portée cosmique est par elle-même source de sens ; « récit traditionnel portant sur des événements arrivés à l’origine des temps et destiné à fonder toutes les formes d’action et de pensée par lesquelles l’homme se comprend lui-même dans son monde », il relève davantage de la pensée rationnelle que de la pensée magique ; en lui, le mal trouve une origine et une explication. Cependant cette explication correspond à un niveau de rationalisation inférieur à celui auquel prétendent les théories métaphysiques. En outre, le mythe a perdu pour nous son pouvoir explicatif. Seule subsiste sa fonction exploratoire. A mi chemin d’une expérience chaotique et d’un discours trop pressé d’appliquer à celle-ci l’ordre de ses raisons, il reste à nos veux le premier langage que se donne l’homme en proie au mal pour échapper à la folie et au non-sens. C’est une interprétation de Inexpérience qui suscite elle-même Y interprétation seconde du philosophe et qui ouvre des chemins de pensée que celui-ci ne pourrait pas suivre, s’il n’était fidèle à la fois au sens des symboles et à l’exigence qui le définit et qui est de réfléchir et de comprendre.
Sous ce mot repris de la troisième Critique kantienne : « le symbole donne à penser », P. Ricœur place précisément le programme d’une philosophie appliquée à des objets irreprésentables, c’est-à-dire à des objets que leur essence propre soustrait au concept et à l’intuition. A l’inverse d’un langage théorique exposé au péril de la généralité et de l’objectivation, le langage symbolique a le pouvoir d’exprimer, à fleur d’expérience, des significations qui demeureraient sans lui captives de l’émotion et du sentiment. Désertification de ce qui s’offre d’abord à l’expérience comme un événement singulier, il donne, comme l’écrit aussi Paraison, « une figure à l’invisible et une voix à l’indicible1 ». Abîmes vertigineux, hauteurs incommensurables, espaces illimités, instant éternel : tout cela est à la portée du symbole en vertu de son pouvoir propre non, comme le concept, de se refermer sur une signification disponible, mais d’ouvrir au-devant de lui un horizon inépuisable. La démesure de l’expérience s’accorde, dans le symbole lui-même, avec la démesure d’un sens qu’augmentent indéfiniment les interprétations qu’il favorise et qui en prouvent la fécondité. A une disproportion donnée dans les choses, correspond la disproportion interne du symbole et les ressources qu’il offre à une réflexion qui a renoncé à prendre son point de départ en elle-même.Muthos et logos