Herméneutique et phénoménologie : La voie du symbole
Ne fait-il pas de la connaissance du mal une connaissance nécessairement relative, indirecte et chiffrée ?
C’est la réponse affirmative qu’elle apporte à ces questions qui fonde une herméneutique du mal. Méthode de déchiffrement appliquée au texte obscur du monde et de nos vies, elle explore patiemment toutes les médiations qui font de l’expérience du mal une expérience où se perpétue, au sein de traditions différentes, l’effort multi millénaire de l’humanité pour se comprendre elle-même. Des « symboles primaires » de la souillure, du péché et de la culpabilité au riche monde des « mythes du commencement et de la tin », elle préfère, à la « voie courte » d’une réflexion et d’une description directes, la « voie longue » d’une investigation instruite par les expressions équivoques dans lesquelles l’homme projette les modalités de son existence dont la signification lui est de prime abord dissimulée. La « faute », ainsi, n’est nullement une donnée immédiate de la conscience : elle est accessible seulement dans un langage qui n’en formulerait pas l’aveu, s’il ne conditionnait d’abord la manière dont elle est vécue. Comprendre le mal est analyser ce langage. C’est apprendre à reconnaître, dans l’opacité des signes qui le composent, une profondeur inépuisable. Le mal n’appartient pas à la lumière du monde ; son mode d’apparition n’est pas celui de l’objet perçu ; la nuit où il se tient, nul regard ne peut la percer — mais où le non-sens abonde, symboles et histoires inventées font surabonder un sens que se partagent et se disputent des interprétations multiples et contradictoires. Drame de Création sur fond de Chaos originel, Dieu méchant des tragiques, récit de la Chute des anges puis du premier homme, mythe orphique et platonicien de l’Âme exilée : autant de tentatives parallèles de l’homme civilisé pour inventer une cohérence moins contraignante que celle de la pure raison et dans laquelle le mai puisse trouver sa place.
Cette multiplicité est pour l’herméneutique la situation indépassable de la pensée confrontée à l’énigme du mal. Elle déçoit par avance un effort d’unification qui passerait ou bien par la mise au jour d’un sol d’expérience universel dont dépendraient comme d’une commune origine toutes les productions symboliques, ou bien par la construction d’un système spéculatif qui substituerait à ces productions la clarté du concept et l’univocité de propositions bien formées. De la raison phénoménologique, la raison herméneutique se distingue par le choix d’une méthode qui ne connaît pas d’autre expérience que celle que médiatise le langage ; à la raison spéculative, elle s’oppose par le choix d’un langage plus primitif et plus ouvert que celui d’une métaphysique rendue aveugle à l’expérience.