De l'excès de la souffrance à l'excès de la méchanceté : La souffrance , racine et non cause de la méchanceté
Nietzsche a mis au jour le rôle que joue, dans la constitution de la volonté morale et dans la détermination du sens commun des mots « bien » et « mal », le rejet de la souffrance. Il a parfaitement décrit, à propos du ressentiment, la transformation qui fait de l’homme qui éprouve son impuissance un homme qui jalouse souffrance de l’un de ses moments constitutifs, il a su saisir plus généralement la relation interne qui unit, dans la vengeance, le mal commis ci le mal subi. Cette relation n’est pas telle, cependant, qu’à toute action corresponde une passion, ou que pour tous manifestation de la méchanceté, on doive chercher, comme si elle en était empiriquement la cause, une douleur ou un malheur d’abord éprouvés. On risquerait, en l’affirmant, de voir dans tout coupable une victime, et l’on ignorerait les arguments qui amenaient Kant à situer non dans la sensibilité mais dans la volonté libre l’origine du mal.
Chercher dans la souffrance l’origine de la méchanceté, n’est donc nullement soutenir une thèse analogue à celle qui avait amené Freud à penser, dans sa première théorie des névroses, qu’un traumatisme était réellement responsable de la maladie et des réactions parfois violentes de celui qui la subit? L’auteur des Cinq psychanalyses abandon ne d’ailleurs rapidement cette théorie. If montre que, même si l’occasion en est parfois extérieurement fournie par un traumatisme, la névrose est le produit d’une élaboration subjective qui, bien qu’en partie inconsciente, met en jeu sa liberté. Quand on dit qu’un homme est violent « parce qu’il a souffert », on ne fait pas de la souffrance la cause mais la racine de la violence. Nombreux d’ailleurs sont ceux que leur souffrance entraîne non à la vengeance mais à la compassion — et plus nombreux encore ceux dont l’excès de violence ne peut être expliqué par l’excès d’une souffrance d’abord subie. En dépit d’une tendance à la répétition dont l’observation fournit maints exemples, on ne peut associer empiriquement à toute violence une souffrance antérieure. I.e pourrait-on que l’on serait fondé à réduire la vengeance à un mécanisme psychique ou social et qu’elle échapperait jugement moral l’on peut voir dans la vengeance la motivation première de la méchanceté n’est donc pas en un sens empirique mais transcendantal. Ce n’est pas, autrement dit, au sens où la violence aurait la souffrance pour cause, mais où la capacité générale de faire le mal implique en l’homme la capacité générale de le subir.la méchanceté