Wittgenstein Invention de la pragmatique
Priorité au public
Repartons de la critique des expériences mentales privées, dans la soi-disant intériorité inviolable du dedans de l’esprit.Tout se passe en réalité dans l’espace public de la communication, c’est là que nous apprenons ce qu’est la douleur, la satisfaction… Le langage du mental privé a été appris dans la communication avec autrui, il en est un sous- ensemble. Il ne décrit en aucun cas directement un vécu « interne », il décrit un vécu global, selon des règles qui font consensus dans la communication externe.
Donc nous avons besoin d’une analyse pragmatique (analyse des situations globales de communication) et pas d’une sémantique (analyse des significations comme propriétés des expressions).
Passer au dessert, connaître ses couleurs…
Dire « oui » signifie quelque chose de précis lorsque je réponds à la question « encore un peu de fromage ? » et exactement le contraire lorque je réponds à la question « voulez-vous passer au dessert? »• Toutes les expressions possèdent cette même sensibilité à la situation ambiante.
Lorsque l’enfant apprend à reconnaître les couleurs, il apprend à les nommer. Les voiren distinguant les longueurs d’onde de la lumière, il sait déjà faire, sinon il ne parviendrait jamais à apprendre à les nommer. Connaître ses couleurs, c’est connaître les noms de couleur dans la langue maternelle qu’on apprend, et c’est un apprentissage linguistique parfaitement intégré à un apprentissage du monde. À la question « mais comment savez-vous que cette couleur est le
. g jeu de langage « couleurs » est appris en situation, le jeu de engage « oui » ne fonctionne qu’en situation, et il y a d’infinies possibilités de jeux de langage : donner des ordres, décrire un objet, raconter un événement, imaginer l’avenir, formuler et tester une hypothèse, jouer une pièce de théâtre, proposer des devinettes, plaisanter, faire des maths, traduire une langue étrangère, demander quelque chose, remercier, injurier, féliciter, prier, promettre… Dans chacun de ces jeux de langage seule une analyse pragmatique de la situation globale de l’acte de parole permet d’étudier les significations.
Par exemple : « tu es une crapule et je vais te tuer » n’est pas une menace s’il y a dans un coin une caméra en train de filmer la scène, et toute une équipe de cinéma. Ce sont les bons mots mais pas la bonne situation, et le sens dépend de la situation beaucoup plus que des mots. Il est de nature pragmatique beaucoup plus que sémantique.
Singulier et global
D’abord comprendre que chaque expression n’a de sens que dans une situation absolument singulière, dans un instant unique de vie. Chaque fois que nous disons « bonjour » ou « je vous aime » est un événement absolument singulier qui crée une signification absolument unique et ne se contente pas d’utiliser les possibilités du langage. Toute signification est singulière.
En même temps comprendre que chaque singularité de la vie se définit par une infinité de rattachements au global, à des situations générales dont tous les paramètres devraient être pris en compte pour obtenir une description totale de la signification. Pour comprendre ce que veut dire exactement le « bonjour » lancé ce matin d’une voix semi-aimable à mon collègue, il faut remonter à toutes nos relations de travail, puis à toute ma vie professionnelle, plus la sienne, plus nos vies privées. Toute signification est globale.