Romantisme "le besoin de croire" contre le "désir de nier"; le fantastique selon Nodier
Dans Génie du christianisme, Chateaubriand avait fait leur place à ces « croyances » et « rites pratiqués par la foule », qui ne sont « ni avoués ni absolument proscrits par l’Eglise » ; « voix des morts dans le vent », « fantômes de la nuit », miracles de « Notre-Dame-des-Bois », ces superstitions ne vont pas sans une certaine vérité du sentiment et de l’imagination ; elles sont en harmonie avec la nature, avec « la misère de nos cœurs » et avec des croyances assurées, comme celle que nous devons à la survie des âmes : « Heureux, trois et quatre fois heureux ceux qui croient ! », s’écrie alors René… Dans son Essai sur les fictions, Mme de Staël rejetait, aussi bien que la mythologie, le merveilleux des romans de chevalerie et les allégories ; seul le vrai la touchait. Dans De la Littérature, elle condamne encore la mythologie, mais aussi les « fables absurdes » de l’Edda, elle n’admet le merveilleux d’Ossian que parce qu’il est très réduit et très discret et regrette que Shakespeare ait fait paraître des sorcières dans Macbeth. Dans De l’Allemagne, dix ans plus tard, elle s’est éloignée de ce rationalisme hérité du siècle précédent et la voici qui définit la littérature romantique comme celle qui est fondée « sur le merveilleux du Moyen Age » ; remarquant que, chez les Allemands, « les revenants et les sorciers plaisent au peuple comme aux hommes éclairés », et alors qu’elle se prépare à présenter aux Français quelques poèmes de Bürger, Lenore, Le Féroce Chasseur, elle explique :
… Les superstitions populaires ont toujours une analogie quelconque avec la religion dominante. Presque toutes les opinions vraies ont à leur suite une erreur ; elle se place dans l’imagination comme l’ombre à côté de la réalité ; elle se place dans l’imagination comme l’ombre à côté de la réalité : c’est un luxe de croyance qui s’attache d’ordinaire à la religion comme à l’histoire ; je ne sais pourquoi l’on dédaignerait d’en faire usage. Shakespeare a tiré des effets prodigieux des spectres et de la magie…
Avec une conviction qui ne se borne point à la littérature, Joseph de Maistre fait, lui aussi, l’éloge de la superstition, préférable à la « philosophie » : « L’homme ne vaut que parce qu’il croit. Ce n’est pas qu’il faille croire à des sornettes, mais toujours vaudrait-il mieux croire trop que ne croire rien », écrivait-il, et, dans le dixième Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg, il affirme que la superstition est « un ouvrage avancé de la religion qu’il ne faut pas détruire ». Le temps est passé de la critique des fables ; on aime croire, on veut croire. Pourtant, les jeunes gens nés au début du siècle étaient encore les fils de Voltaire. Ils l’ont reconnu, non sans amertume, et Victor Hugo, dans une pièce des Chants du crépuscule, avouera, auprès de son « besoin de croire », un « désir de nier ». Ce scepticisme inhérent à son temps navrait Charles Nodier ; nul, plus que lui, n’était doué pour la crédulité, et, en 1822, il emprunte à « la mythologie en honneur au village » une « superstition intéressante », en nous racontant les amours malheureuses de Jeannie la batelière et du lutin Trilby. Ce lutin existe-t-il ? Le conteur le laisse croire et son récit relève du merveilleux, puisqu’il nous installe dans un monde surnaturel. Mais peut-être Trilby est-il une création de l’imagination et des sens d’une jeune femme esseulée et mélancolique ; en ce cas, nous avons affaire à un conte fantastique : le mystère surgit dans la vie quotidienne, mais il ne nous est pas interdit d’y trouver une explication naturelle. Le fantastique apparaît alors comme le seul accès au mystère qui reste permis aux modernes. Dans la préface de La Fée aux miettes, Nodier raconte comment les histoires de loups- garous, de lutins, qu’il entendait à la veillée, finirent par le lasser, parce qu’il n’arrivait pas à y croire. Il en conclut que « la bonne et véritable histoire fantastique d’une époque sans croyances ne pouvait être placée convenablement que dans la bouche d’un fou ». Le héros de son récit, Michel le Charpentier, est, en effet, un « lunatique » et ses amours avec la Reine de Saba peuvent être portés au compte de son délire ; mais tout l’art de l’écrivain consiste à nous taire sympathiser avec ce délire et souhaiter qu’il soit vrai ; l’explication naturelle reste à notre disposition ; on nous incline à en préférer une autre et à glisser dans le merveilleux… Le rêve – endormi ou éveillé (et, dans ce dernier cas, touchant au délire ou à la folie) – voilà la source vraie du merveilleux. Traitant, en 1831, de Quelques phénomènes du sommeil, Nodier fait sortir du songe « tout le mythisme d’une religion » ; son conte frénétique de Samarra (1821) est le récit d’un cauchemar et, dans la préface nouvelle de cette œuvre, il explique que « la descente d’Ulysse aux enfers est un rêve ». P.-G. Castex (118) l’a montré avec force, Charles Nodier apparaît comme le précurseur des Nerval et des André Breton, qui, après lui, sauront découvrir, dans « les extases des fous et des grands rêveurs, les mythes des primitifs, les naïvetés de la conscience enfantine », une vérité trouble et profonde.