Du symbolisme au Surréalisme : Guillaume Apollinaire
écrit le: 26 janvier 2012 par admin
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
et toute la troupe des oiseaux réels, légendaires ou mythiques, l’oiseau Roc, le phénix, les sirènes… En 1918, encore, dans le drame Couleur du temps, au début de l’acte III, les personnages, volant dans leur avion, rencontrent « tous les dieux de notre humanité »,
Les dieux de Babylone et tous les dieux d’Assur
[…] les dieux d’Egypte aux têtes d’animaux
[…] et les dieux de la Grèce
Jupiter Apollon tous les dieux de Virgile
Et la tragique croix…
Ce rendez-vous des dieux et des aviateurs nous introduit dans la mythologie même d’Apollinaire, où la tradition débouche dans la vie moderne. Mais, avant de dire quelques mots de cette mythologie, à la fois héritée et futuriste, exprimons au moins le souhait qu’on s’applique aux thèmes mythiques de l’œuvre d’avant la guerre ; bien interrogés et élucidés, les symboles et les mythes de L’Enchanteur pourrissant deviendraient peut-être les clés d’un langage poétique que, dans Alcools, nous déchiffrons mal encore. Il faudrait dépister et suivre, dans ce recueil, les thèmes solaires, avec ce mythe du coucher du soleil décrit comme la mort ou le meurtre de l’astre, dans Lui de Faltenin, les images d’Icare, des sphinx, du phénix, de ces sirènes oiseaux que l’on retrouve dans Lui de Faltenin et dans Vendémiaire, le mythe d’Orphée, trouve son prolongement, en 1916, dans Le Poète assassiné. Dans cette voie difficile, mais royale pour pénétrer au cœur de la poésie d’Apollinaire, Henri Meschonnic (149) a bien montré que « la mythologie est rarement, chez lui, un élément décoratif », qu’« elle lui est consubstantielle », et comment « il a passé sa vie à approfondir le sens de certaines fables ».
Meschonnic précise qu’en dépit de la déclaration de Zone : « Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine », « Apollinaire revit les fables dans le monde moderne ». Ajoutons qu’à la fin de sa carrière, ces mythes, sur lesquels la littérature symboliste avait pu, d’abord, attirer son attention, s’intègrent à sa revendication d’une poésie moderne. Dans sa conférence sur L’Esprit nouveau et les Poètes, en 1917, après avoir déclaré que le but des « poètes modernes » est « la vérité toujours nouvelle », c’est-à-dire la « vérité supposée », il donne cet exemple : « Tant que les avions ne peuplaient pas le ciel, la fable d’Icare n’était qu’une vérité supposée. Aujourd’hui ce n’est plus une fable » ; aux poètes modernes, d’imaginer de nouvelles fables « que les inventeurs puissent à leur tour réaliser ». Quant aux mythes anciens, ils peuvent encore exprimer les inventions et la réalité modernes, et cette utilisation futuriste des mythes grecs se corse de la pointe d’érotisme dont l’imagination d’Apollinaire n’est jamais privée, quand, dans Vendémiaire, les villes du Nord avouent :
Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées
Comme fit autrefois l’Ixion mécanique.
Mais quelque attaché aux traditions que demeure Apollinaire, le temps vient, annoncé par lui, d’une mythologie moderne et d’une esthétique de la surprise.