L'inénarrable
De l’Échec; d’une Métaphysique. du mal et de la contestation du privilège accordé plus généralement par la tradition au mal moral, il semble que l’on puisse tirer deux conséquences : a) Le mal est ce qui fait mal ; il ne se montre proprement comme ce qu’il est que dans la souffrance. Il est pire, sans doute, comme l’affirme Socrate, de commettre l’injustice que de la subir ; mais l’injustice subie par les uns mesure seule l’injustice commise par les autres, b) Le seul savoir possible sur la souffrance est le savoir que la souffrance a d’elle-même : il est de l’ordre non de la justification ou de l’explication mais du témoignage. Ces conséquences déterminent le changement de méthode qui conduit de la métaphysique à la phénoménologie.
Une phénoménologie de la souffrance commencera en effet par mettre entre parenthèses toutes les spéculations sur le mal mais aussi toutes les symbolisations auxquelles il a donné lieu dans l’histoire et dans la culture. Elle s’efforcera, après avoir réduit le mal à la souffrance, de réduire la souffrance elle-même à un noyau structurel commun à tous les modes du souffrir et accessible ainsi à une description pure.
Dans quelle mesure, cependant, cette réduction et cette description sont-elles possibles ? Cette question, Paul Ricœur l’a posée il y a une cinquantaine d’années, non sans avoir d’abord renvoyé dos à dos le dogmatisme d’une théologie naturellement encline à convertir le mal en bien et l’athéisme vainqueur d’une pensée trop prompte à s’établir par-delà bien et mal. Et il y a répondu par la révolution de méthode qui devait l’amener à privilégier, à égale distance d’une expérience muette et des grandes synthèses spéculatives, le niveau intermédiaire du mythe et du symbole, où le mal trouve une expression accessible à une méthode d’interprétation très éloignée de la méthode intuitive que parait requérir une phénoménologie.L’inénarrable