L'existence et le temps :Existence et ennui
N’avez-vous jamais rêvé de pouvoir effacer ou revivre une partie de votre existence ? Mais le temps est passé inexorablement réduisant chaque moment vécu à un simple souvenir passé. Il y a souvent tellement de différence entre la vie que l’on avait imaginée et l’existence que l’on a. La différence entre ces deux termes pourtant si proches – la vie et l’existence – tient certainement à la façon dont chacun parvient ou non à combler ses manques et ses désirs. Nous avons tous connu des moments que caractérisent le vide, la souffrance ou l’ennui. Alors plutôt que de se résigner, il semble toujours possible, dans ces moments-là, de se projeter vers un but, une espérance ; de se détourner de la solitude égocentrique de la conscience pour se tourner vers le monde ou vers autrui. Et ce mouvement, ce moment où la conscience forme à nouveau des projets en se projetant à l’extérieur d’elle-même lui permet justement de commencer à s’affirmer au dehors, c’est-à-dire étymologiquement à véritablement exister.
Existence et ennui
L’existence se dévoile peut-être d’abord comme sentiment au sens où il n’y a certainement rien de pire que ne pas se sentir exister. Dès lors, l’ennui, la vacuité ou la vanité semblent sans cesse menacer la conscience humaine dans son sentiment d’existence.
Force est de constater que la plupart des hommes, plutôt que de réfléchir à cette menace (et à la peur du temps qui passe qui souvent l’accompagne) préfèrent l’oublier et s’en détourner par tous les moyens. Cette stratégie qui consiste à se détourner renvoie étymologiquement au verbe latin divertere que l’on retrouve évidemment dans divertissement.
Dans ses célèbres Pensées, Pascal définira le divertissement comme le point commun de toute existence humaine quelle que soit sa condition.
Pascal, Pensées, 139, « Divertissement », 1670
« Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos combattant quelques obstacles et si on les a surmontés, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte.
Car ou l’on pense aux misères qu’on a ou à celles qui nous menacent.
Et quand on se verrait même assez à l’abri de toutes parts, l’ennui de son autorité privée ne laisserait pas de sortir du fond du cœur où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin.
Ainsi I homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d ennui par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain, qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir.
Mais direz-vous quel objet a-t-il en tout cela ? celui de se vanter demain entre ses omis de ce qu il a mieux joué qu’un autre. Ainsi les autres suent dans leur cabinet pour montrer aux savants qu’ils ont résolu une question d’algèbre qu’on n’aurait pu trouver jusqu’ici, et tant d’autres s’exposent aux derniers périls pour se vanter ensuite d’une place qu’ils auront prise aussi sottement à mon gré. Et enfin les autres se tuent pour remarquer toutes ces choses, non pas pour en devenir plus sages, mais seulement pour montrer qu’ils les savent, et ceux-là sont les plus sots de la bande puisqu’ils le sont avec connaissance, au lieu qu’on peut penser des autres qu’ils ne le seraient plus s’ils avaient cette connaissance. »
Une première lecture de ce texte pourrait nous faire croire que l’existence humaine ne peut s’écouler qu’entre vanité et ennui ; mais les choses ne sont heureusement pas si simples que cela. Il convient tout d’abord de rappeler le présupposé de Pascal qui consiste à croire que l’âme humaine ne peut être comblée que par l’amour ou la présence de Dieu. En dehors du royaume de Dieu, la condition humaine, pour Pascal, ne peut être que misérable. L’homme passe alors toute son existence à tenter désespérément d’y échapper, sans le pouvoir, étant sans cesse tourmenté par les peurs qui s’attachent à sa fragilité et sa mortalité. Et si l’ennui est tant redouté et le rend si malheureux, c’est tout simplement qu’il ne peut s’empêcher de penser, lorsqu’il ne s’agite et ne s’occupe pas, à toutes les misères réelles ou imaginaires qui l’attendent. En même temps, l’agitation peut être elle aussi la cause de nouveaux tracas et de futurs malheurs. Et au milieu de toutes ses peurs, l’homme ne sait que faire de son existence, puisqu’il aspire au repos tout en redoutant l’ennui qui souvent l’accompagne. Pourtant les solutions sont aussi plus simples qu’il n’y paraît. La première peut se trouver dans le texte lui-même en comprenant bien ce que Pascal dit des sots et des savants : il convient de ne pas se prendre au sérieux1, et de ne pas donner à son activité ou à sa personne plus d’importance qu’elle n’en a en réalité. Bien souvent ce qui nous fait souffrir, ce n’est ni notre condition, ni nos désirs, c’est de croire qu’il suffit de se divertir, ou d’échapper à l’ennui, pour être heureux : « Ainsi on se prend mal pour les blâmer ; leur faute n’est pas en ce qu’ils cherchent le tumulte. S’ils ne le cherchaient que comme un divertissement, mais le mal est qu’ils le recherchent comme si la possession des choses qu’ils recherchent devait
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