Le dilemme de bayle : Méchanceté ou impuissance de dieu ?
Est-ce assez pour être assuré que la faculté de faire le mal ne soit pas elle-même un mal ? Dans tous les cas, il semble qu’il n’y ait pas d’issue : si elle est un mal, pourquoi Dieu l’a-t-il donnée à l’homme ? si elle est un bien, pourquoi ne l’a-t il pas bien disposée ? Ne doit on pas de même rejeter comme sophistique ou comme ruineuse, s’agissant du choix divin, la distinction de la volonté et de la permission ? Que signifie en effet cette notion de permission, si elle n’est ni la complicité du policier qui ferme les yeux sur un cas de corruption, ni la faiblesse du gouvernement incapable de réprimer cette corruption, ni la démission des parents qui abandonnent leurs enfants à eux-mêmes ? Celui qui n’empêche fias un certain mal n’est il pas lui-même coupable d’avoir mal fait ? la permission du mal n’est pas autre chose alors que sa volonté par omission il est vrai que l’on peut apprendre de ses erreurs et que d’un mal, sort parfois un bien, mais « voilà deux princes dont l’un laisse tomber ses sujets dans la misère, afin de les en tirer quand ils y auront assez croupi, et l’autre les conserve toujours dans un état de prospérité : celui-ci n’est-il pas le meilleur ? ». Il ne faut pas être métaphysicien pour savoir cela : « un villageois connaît clairement [… | qu’il vaut mieux empêcher qu’un assassin ne tue personne, que de le taire rouer après les meurtres qu’on lui a laissé commettre’1‘ » ; et il sait tout aussi clairement qu’un père de famille qui laisserait casser les jambes à ses enfants, afin de faire paraître à tous l’adresse qu’il a de rejoindre les os cassés, ne serait ni bon ni juste.
En outre, en faisant, comme Leibniz, dépendre la permission du péché de la nécessité où se trouvait le Créateur de choisir, parmi tous les mondes possibles, celui que sa raison lui présentait comme le meilleur, on concilie peut-être la prescience divine et la liberté humaine, mais on limite la liberté de Dieu et l’on se trouve presque acculé à dire que, si le mal s’est produit, c’est qu’il devait se produire et qu’il n’était pas en son pouvoir de l’empêcher. Sans doute la nécessité du choix divin est-elle seulement hypothétique : si elle incline la volonté créatrice, cette volonté cependant ne saurait s’en déduire comme, en géométrie, un théorème peut être tiré analytiquement des propositions qui servent de base au raisonnement. Mais on doit reconnaître alors ou bien que Dieu ne pouvait pas concevoir, ou bien qu’il ne voulait pas créer un monde meilleur — ce qui est douter ou de sa puissance ou de sa bonté. Le problème est le même si cette puissance est celle non de la conception qui préside au choix divin mais de la force qui assure sa réalisation. Aussi Lactance lui donne-t-il la forme d’un dilemme dont il attribue la paternité à Épicure mais qu’il adapte à la théologie chrétienne et qui trouve chez Bayle formulation achevée : « Si [ Dieu | a prévu le péché d’Adam et qu’il n’ait pas [iris des mesures très certaines pour le détourner, il manque de bonne volonté pour l’homme […]. S’il a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher la chute de l’homme et qu’il n’ait pu en venir à bout, il n’est donc pas tout-puissant, comme nous le supposions » Ce dilemme ruine la réciprocité des attributs divins. Il introduit le soupçon d’un Dieu méchant —auquel ne pourra répondre que l’hypothèse, inverse, d’un Dieu impuissant.Le dilemme de bayle