Le devoir :Devoir et impératif
Quand il s’agit d’accomplir son devoir pour le pays ou de remplir ses devoirs conjugaux alors que nous en avons ni le « courage » ni l’envie, nous commençons à sentir à quel point cette notion de devoir qu’admirent tant les moralistes et les rigoristes, peut se rapprocher de l’exercice de la contrainte que détestent tant les amoureux et les partisans de la liberté individuelle. Pourtant le devoir ne semble pouvoir se confondre avec la contrainte puisqu’il se présente comme l’obéissance à une « voix ou à une obligation intérieure » et non pas comme le résultat d’une domination physique et forcée.
Il conviendra d’approfondir ces rapports entre devoir, contrainte et obligation, pour voir si derrière l’action morale que l’on dit faire par simple ou pur devoir ne se dissimulent pas des craintes ou des intérêts inavouables. Que doit-on véritablement penser de celui qui se dit ou se découvre obligé d’agir de telle ou telle façon pour se sentir digne ou respectueux ? La fierté du devoir accompli a souvent du mal à se défaire de nauséabonds relents d’absolu et de sang.
Devoir et impératif
Pour Kant, philosopher sur l’homme d’un point de vue moral consiste à réfléchir et à répondre à la question « que dois-je faire ? ». Plus encore qu’un rapport privilégié, le devoir entretient avec la morale un rapport nécessaire ; car une action ne peut véritablement être estimée bonne qu’à la seule condition d’être faite par devoir et uniquement par devoir. Le devoir peut alors en ce sens se définir pour un être raisonnable comme une obligation inconditionnelle dont la valeur est absolue. Agir par devoir consiste pour la volonté à se déterminer a priori a agir selon des principes universels quels que soient ses intérêts ou les circonstances.
Kant, Critique de la raison pratique (1788)
« La raison pure est pratique par elle seule et donne à l’homme une loi universelle, que nous nommons la loi morale […]
S’appliquant aux hommes, la loi a la forme d’un impératif, parce qu’on peut, à la vérité, supposer en eux, en tant qu’êtres raisonnables, une volonté pure, mais non leur attribuer, en tant qu’êtres soumis à des besoins et à des causes sensibles de mouvement, une volonté sainte, c’est-à- dire une volonté qui ne soit capable d’aucune maxime contradictoire
avec la loi morale. Pour eux la loi morale est donc un impératif, qui commande catégoriquement, puisque la loi est inconditionnée ; le rapport d’une volonté telle que la leur à cette loi est la dépendance qui sous le nom d’obligation désigne une contrainte, imposée toutefois par la simple raison et sa loi objective, pour l’accomplissement d’une action qui s’appelle devoir […]
Si la loi morale, devant permettre d’agir par devoir, se présente comme un impératif, c’est tout simplement parce que l’homme ne peut jamais se définir entièrement et seulement comme être raisonnable. Affecté par les désirs et la sensibilité, l’homme soumet la plupart du temps sa volonté à des buts et des intérêts particuliers. Il se peut qu’en suivant des buts particuliers, l’homme agisse conformément au devoir, mais cela ne saurait se confondre avec l’action morale qui consiste à agir par devoir en suivant « une loi universelle, que nous nommons la loi morale ». Ainsi, par exemple, si je poursuis mon bonheur en le prenant comme but ultime de mon existence, je n’agis pas de façon morale car une telle attitude dévalorise l’action morale au rang de simple moyen et ne permet pas de définir « une volonté pure », c’est-à-dire pour Kant « une bonne volonté ».
Si l’on prend en compte cette dualité des hommes, à la fois « en tant qu’êtres raisonnables (et) en tant qu’êtres soumis à des besoins et à des causes sensibles… », force est d’admettre que l’impératif de la morale doit se présenter à eux de façon catégorique : « Pour eux la loi morale est donc un impératif, qui commande catégoriquement, puisque la loi est inconditionnée ». La volonté peut alors se définir comme bonne lorsqu’elle décide en toute liberté de ne plus suivre la sensibilité, l’utilité ou l’intérêt, mais d’être guidée catégoriquement et absolument par la loi morale. Et seul ce respect absolu et inconditionnel de la volonté pour la loi morale définit ce qu’est véritablement le devoir.
Puisque le devoir et la loi morale doivent obliger de façon absolue et inconditionnelle, ils ne peuvent s’exprimer que sous la forme d’une maxime universelle pour ne dépendre d’aucun mobile et d’aucune détermination subjective ? Cette maxime se retrouve dans l’injonction de l’impératif catégorique : « Agis comme si la maxime de ton action devait devenir par ta volonté une loi universelle de la nature ». La volonté qui agirait selon ce principe serait bonne et pourrait accomplir une action par pur devoir. Mais, il faut retenir que l’homme n’est pas un pur être raisonnable et qu’en ce sens, l’impératif catégorique n’indique pas ce qu’il faut faire mais ce qu’il faudrait faire si notre jugement pouvait s’affranchir de la sensibilité et de la subjectivité, ce qui pour l’homme est impossible. Il faut préciser aussi qu’une telle conception du devoir contient implicitement toute une conception religieuse de l’homme, de la bonté et de la nature qui peut soit nous laisser indifférent1 soit nous laisser supposer que le devoir loin d’être gravé a priori dans la raison humaine n’est que le résultat de normes et de règles culturelles. Car nous confondons souvent l’ancien et le sacré et aimons à croire à l’universalité de notre système. Il s’agit donc de se demander si les valeurs qui fondent le devoir viennent non pas de la raison elle-même mais simplement de longues habitudes ou nécessités sociales. nécessités sociales.
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