La religion :religion et divinité
Que l’on soit athée, simple croyant ou même fanatique, il faut bien avouer que la religion n’est pas une croyance comme les autres. Individuellement et intimement, elle se manifeste par une adhésion et une foi bien supérieure à celle que supposent les autres croyances (comme les superstitions ou les préjugés). Socialement, et comme l’indique son étymologie, elle semble fonder ou consolider les communautés en reliant les hommes entre eux par la reconnaissance de principes supérieurs.
La philosophie n’a pas grand-chose à dire sur la Foi, car elle reste un sentiment intime qui s’éprouve mais ne se prouve pas. En ce sens, la Foi ne se discute ni dans un sens ni dans l’autre, aussi bien pour celui qui la vit que pour celui qui l’ignore. Mais parce que la religion ne se réduit pas à la foi individuelle, il reste possible de s’interroger sur les rapports entre religion et société. Et cette interrogation semble d’autant plus essentielle que la religion, lorsqu’elle ne concerne plus seulement l’homme dans son intimité mais la foule ou un peuple tout entier, suppose et manifeste des pouvoirs que la philosophie se doit de considérer.
Religion et divinité
Si la plupart des philosophes s’accordent avec la majorité sur la définition de l’être divin comme immortel et parfait ; ils ne s’accordent pas sur les conséquences d’une telle définition. Pour la majorité des croyants, la perfection divine est d’ordre moral et se définit donc par rapport à l’idée du Bien. Pour un philosophe comme Épicure, la perfection, par définition, se suffit à elle-même et ne peut en ce sens dépendre de quelque chose, que ce soit une idée, une chose ou un être.
Épicure, Lettre à Ménécée, vers 300 av. J.-C.
« Et d’abord songe qu’un dieu est un être immortel et bienheureux, conformément à l’idée que nous en avons. Ne lui attribue rien qui contredise cette immortalité et cette béatitude, par contre accorde lui tout ce qui convient à l’immortalité et à la béatitude, car l’évidente connaissance que nous avons des dieux montre bien qu’ils existent.
Seulement ils ne sont pas comme le croit la multitude. Et nier les dieux de la multitude ce n’est pas être impie. L’impiété réside plutôt dans ce que la multitude prête aux dieux par ses opinions. Car ces dernières, loin d’être des intuitions justes, sont des imaginations fallacieuses ;d’où vient qu’on rend les dieux responsables du mal qui advient aux méchants et du bien répandu sur les bons. C’est que la multitude est prisonnière des idées qu’elle se fait de la vertu, elle veut des dieux qui s’y conforment et rejette tout ce qui est différent. »
En opposant les « dieux de la multitude » et l’idée d’un « être immortel et bienheureux », Épicure indique la frontière nette qui existe entre divinité et religion. La véritable définition de la divinité ne peut en effet, pour lui, être donnée par la foule des croyants qui a toujours tendance à se laisser trop séduire et emporter par les suppositions fallacieuses. Seul l’examen philosophique, délivré des superstitions et des préjugés, peut permettre de définir la divinité en comprenant d’abord ce qu’elle n’est pas : elle n’est pas « comme le croit la multitude ».
La foule, pour Épicure, confond les mobiles divins avec des mobiles humains en pensant que les dieux jugent ou s’occupent des affaires humaines. Par définition, un être parfait, immortel et bienheureux, s’il existe, n’a besoin et ne dépend de rien. C’est donc remettre en cause sa perfection que de penser qu’il s’occuperait des hommes. Épicure va plus loin encore en accusant d’impiété celui ou celle qui partage cette opinion : « l’impiété réside plutôt dans ce que la multitude prête aux dieux par ses opinions ».
Séparant la définition du dieu de la croyance en dieu, il est un des premiers à exhiber la complexité des rapports entre philosophie, théologie et religion. Au fond, tout dépend de l’idée que l’on se fait de la perfection. Les querelles sur cette définition ont enrichi aussi bien l’histoire de la philosophie que celle des sciences ou encore de la théologie. C’est en réfléchissant sur l’idée de perfection que Descartes tentera de démontrer l’existence de Dieu ; c’est en distinguant croyance et connaissance que Kant remettra en cause la démonstration cartésienne ; c’est parce qu’il se considérait comme créature imparfaite et pris entre deux infinis, que Pascal n’osera pas réfléchir mathématiquement sur l’infini alors qu’il en avait les moyens…
Pascal, à propos de la divinité, ira jusqu’à remettre en cause la pertinence de l’examen philosophique en affirmant que Dieu ne se définit pas mais se sent : « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce qu’est la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison ». Il semble donc impossible de sortir de ces querelles puisqu’ici, apparemment, la raison ne peut parler
au cœur ni le cœur à la raison. Il reste à espérer que la présentation de cette distinction permette de comprendre pourquoi certains philosophes admettent dieu tout en rejetant la religion.
Vidéo : La religion :religion et divinité
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