La finitude du sujet agissant
Pour Kant, comme pour Kierkegaard, la sincérité de Job consiste à savoir qu’il ne sait pas ; elle est tout entière dans l’aveu de l’impuissance de notre raison à réconcilier Dieu et le mal. Mais cette impuissance est seulement pour lui celle de la raison théorique ; elle signifie précisément que le mal n’est pas problème soumis à notre connaissance mais une question posée à notre liberté. Aussi en conclut-il non au mystère mais à l’action. Si la « loi » doit être opposée ici à la « science », c’est au sens d’une foi morale ou d’une foi religieuse dont la moralité est l’unique contenu. Objectivement in démontrée, la réconciliation de Dieu et du mal est subjectivement postulée connue une condition de la bonne conduite. Cette condition est accordée à la finitude du sujet agissant. Lui enjoindre : « tu dois donc tu peux », est lui dire non : « tu peux tout », mais : tu dois travailler autant que tu le peux à te rendre digne d’un bonheur dont la réalisation finale ne dépend pas de toi.
L’idée kantienne d’une théodicée authentique peut être avantageusement opposée, en ce sens, a l’achèvement hégélien et au refoulement nietzschéen de la théodicée dans sa forme traditionnelle. Elle montre qu’il est également impossible de résoudre et de supprimer le problème du mal. Mieux : en laissant ouverte la question de la justification, elle laisse ouverte aussi une histoire dont elle dessine l’horizon mais dont elle remet les chances de progrès entre les mains des hommes : à eux d’inscrire leurs actions dans cet horizon ou d’ignorer au contraire l’exigence infinie qui le révèle à la conscience de chacun.
Mais n’y a-t-il pas quelque incohérence à réduire d’un côté bien et mal à des possibilités dont la réalisation dépend de nous, et à reconnaître d’un autre côté un « mal d’injustice » dont la suppression ne dépend pas de nous ? Cette injustice met en question la primauté du mal moral. Mlle montre aussi l’insuffisance d’une religion réduite elle-même au «culte moral de Dieu » (comme l’est en droit, selon Kant, une religion maintenue « dans les limites de la simple raison »). Au moins aurait-elle du interdire au père de la philosophie critique de chercher dans le Livre de Job l’expression allégorique de ce qu’il appelle la « théodicée authentique ».Kant