Le soupcon du dieu méchant : Le mal en dieu
Cette idée paradoxale d’un mal en Dieu repose sur une distinction subtile entre la notion de cause et celle d’origine. L .Pareyson, qui l’emprunte à Schclling, v voit la seule manière d’éviter la doctrine manichéenne des deux principes, sans retomber pour autant dans les difficultés inhérentes à la plupart des interprétations du mythe adamique auquel il est fidèle et s’efforce lui aussi de donner le maximum Je vraisemblance. Selon lui, « Dieu est certainement l’origine du mal, mais il n’en est pas le réalisateur, ce qu’est l’homme uniquement sur le plan de l’histoire ».
Dire que Dieu est l’origine du mal est dire qu’il a fait, en créant le monde, le choix du bien, mais qu’il a dû, pour ce faire, affronter le mal comme une possibilité sans laquelle la notion même de choix n’aurait aucun sens. Dire qu’il n’en est pas le réalisateur, c’est dire qu’il appartient à l’homme de réveiller cette possibilité et de lui rendre une efficace dont l’avait privé le choix divin. Ainsi le mal préexiste à l’homme, sans que celui-ci cesse d’en être la cause. Et il est en Dieu comme la possibilité vaincue par l’acte créateur dans ce qu’il faut se représenter comme une – histoire éternelle » antérieure à l’histoire humaine et dont cet acte est l’événement majeur. Dieu est l’origine du mal sans en être l’auteur, et l’homme est l ‘auteur du mal sans en être l’inventeur. En créant le monde, Dieu a réduit le mal a une possibilité, mais cette possibilité vaincue par le choix de Dieu, demeure offerte au choix de l’homme, dont dépend dès lors le succès final de la création. Draine divin, tragédie humaine : ainsi pourrait on résumer une conception qui en faisant, sur ces deux plans, la part belle à l’histoire et à l’événement, affirme cependant la supériorité du mythe sur la spéculation et se met ainsi au service moins de la raison que de la foi.
La vraisemblance du mythe est assurée ici par la superposition des deux histoires celle de la création et celle de la chute — et par une insistance redoublée sur l’arbitraire de la liberté qui en est le centre. Que Dieu soit signifie qu’il a choisi d’être, et qu’il ait choisi d’être signifie qu’il a choisi le bien. Dieu est l’être dont l’être est choix et dont le choix est choix du bien. Par un même acte donc, le néant et le mal ont été vaincus. Cela ne veut pas dire que le néant et le mal aient existé avant l’être et le bien (comme dans les théories archaïques de la double création ) mais que par le choix qu’il fait de ces derniers, Dieu engendre et contient en soi les premiers à titre de possibilités repoussées et dépassées. Cela ne veut pas dire non plus par conséquent que Dieu soit bon ou qu’il soit le bien. Comme le mal, le bien
n’est tel que s’il est choisi. Ces deux notions n’ont de sens que par rapport à la liberté. On ne formulerait pas seulement une proposition dénuée de sens, on rabaisserait encore la gloire du Créateur, si l’on supposait celui-ci bon par nature. C’est dans la mesure seulement où il choisit le bien que Dieu est le bien. Et par ce choix, encore une fois, Dieu engendre le bien et le mal et donne ainsi carrière au choix humain. Celui-ci est aussi libre et par conséquent aussi arbitraire que celui-là mais il ranime et fait passer à l’existence la possibilité que Pacte créateur, tout en l’engendrant, avait tenue en lisière de lui même. Dans sa chute, « l’homme fait passer le mal de l’état de pure possibilité à celui de réalité effective » ; comme pour éprouver l’inimité de sa propre liberté, il inverse le sens de la création.
Mais cette « décréation », ainsi, n’est pas davantage fondée dans une mauvaise nature de l’homme, que la création ne l’est dans la bonne nature de Dieu. Son seul fondement est la liberté, qui est en elle-même absence de fondement. La liberté est un « abîme » qui rend également « incompréhensibles » le choix de la création universelle et celui de la destruction universelle. Si, comme l’implique le récit biblique de la création et de la chute, la liberté est la raison du mal, alors le mal est sans raison. Aussi la reconstruction vraisemblable du mythe s’oppose-t-elle ici à l’élaboration théorique d’une vérité sur le mal qui aboutirait à « Dieu » comme à sa raison ou à sa justification dernière. Loin de servir la théodicée, elle oblige à v renoncer.Le mal en dieu