Que vaut la doxographie
Si le genre (IV) (la doxographie) est assez populaire, car savoir qu’une chose vient après une autre donne au moins l’impression de savoir quelque chose, il a mauvais genre auprès des philosophes «professionnels». On présente en effet souvent la doxographie comme un simple défilé de doctrines, sans aucune recherche historique ou philosophique. Premièrement, le genre (IV) partage avec le genre (III) l’idée de l’histoire de la philosophie comme récit. Mais le récit ne serait chez le doxographe qu’une morne succession, sans dynamique spéculative (c’est un récit, mais pas un grand récit, plein de sens) et surtout sans la signification philosophique que procure la saisie, dans l’histoire de la philosophie, d’une raison nécessaire et impérieuse de son propre développement. Dans la doxographie, les philosophies se succédant comme une suite contingente; on verse vite dans l’anecdote.
Deuxièmement, ce sont moins les questions philosophiques contemporaines qui structurent la doxographie que des questions ((‘battues et générales, celles qu’on identifie immédiatement, à tort ou à raison, comme typiquement philosophiques : le sens de la vie, la distinction entre le bien et le mal, la question du meilleur régime politique, etc. En voulant donner une structure au récit, C’est parmi les lieux communs philosophiques qu’on trouve un dénominateur commun aux différents moments de l’histoire de la philosophie. On aura ainsi : « Le sens de la vie chez Platon, saint Augustin, saint Thomas, Descartes, Kant, Hegel, Bergson ». Une morne litanie des philosophe.
Troisièmement, l’historien doxographe coupe les thèses philosophiques des démarches argumentatives dont elles sont issues. Il a tendance à livrer des résultats, mais sans les raisons qui les soutiennent. (Il revient sans doute aux historiens structuralistes de la philosophie d’avoir montré qu’une philosophie est moins un ensemble de thèses qu’une méthode.) Les philosophes ne détachent pas la recherche doctrinale de ses conditions de possibilité méthodologiques. Or, le doxographe ne retient que les formulations de la première (la doctrine), occupé qu’il est à faire entrer chaque philosophe dans le moule d’une succession de réponses à des questions prédéterminées. || devient totalement insensible à la variété des approches et au caractère dynamique de la pensée philosophique. Pour Victor Goldschmidt il convient de récuser « toute espèce d’historiographie qui, prêtant, iux dogmes enlevés à leur contexte originaire, une fausse intelligibilité, prendrait modèle sur la doxographie des Anciens»(1984, p. 249).
La doxographie n’est qu’un catalogue de thèses, sans rime ni raison. Tout comme ces ouvrages d’histoire de l’art qui nous présentent un choix de tableaux d’annonciations ou de marines, des plus anciennes aux plus récentes, la doxographie est platement linéaire. Sa seule valeur est de permettre de servir de pense-bête : « Tiens, qu’est-ce qu’untel disait à ce sujet ? ».
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