L'irruption de La technique
La technique est l’une des caractéristiques fondamentales du XXe siècle. Le nombre d’objets techniques, d’outils, de machines, de “nouvelles technologies” qui façonnent notre quotidien est devenu considérable. Émerveillés devant les artefacts que nous manipulons, subjugués devant un “progrès” technique exponentiel, nous sommes également terrifiés par l’énorme impact de la technique contemporaine sur la vie de chacun, l’organisation de la société et sur la nature. L’invention de la bombe atomique en 1945 – et les perfectionnements ultérieurs qui accroissent encore sa puissance destructrice , les usines de mort de la Shoah, l’exploration de l’espace ou la manipulation du patrimoine génétique : autant d’exemples qui prouvent que l’activité technique humaine est aujourd’hui une préoccupation. D’objet marginal pour la réflexion philosophique, la technique est progressivement devenue une question décisive. La notion de technique, qu’on pouvait réduire à un instrument neutre maîtrisé et utilisé en vue d’une fin que l’on décide, se révèle plus complexe.
L’outil, la machine et l’homme
Le terme de technique vient du grec ancien téchnè. Il désigne tout ce qui doit son existence à l’intervention et à l’invention humaines, par opposition aux êtres naturels qui naissent, croissent et meurent par eux-mêmes. La technique désigne un savoir-faire développé par l’entraînement, l’apprentissage et la pratique. L’artisanat illustre bien ce sens du mot. Néanmoins, la multiplication des inventions techniques au fil de l’histoire a enrichi la signification du terme. Sous l’unité apparente du mot existent dorénavant des réalités hétéroclites qui exigent de nouvelles distinctions.
L’outil et le travail humain
L outil est un instrument technique qui permet d’augmenter les capacités d’action de l’homme, soit en lui facilitant une tâche qu’il pourrait accomplir sans outil avec une peine plus grande, soit en perfectionnant son travail en rendant son résultat plus précis ou plus efficace. La progression de la technique des outils leur perfectionnement, leur sophistication – ne peut qu’être bénéfique en soulageant l’homme de la partie la plus laborieuse de ses tâches.
Pensée en termes d’outil, la technique est un moyen qui permet de réaliser une fin. Elle est un moyen d’action qui me permet de parvenir à la fin souhaitée. Par conséquent, la responsabilité en revient ultimement à celui qui invente et qui utilise la technique : l’homme lui-même. Cette compréhension classique de la technique en fait essentiellement un instrument vis-à-vis duquel l’homme conserverait sa liberté.
La souveraineté de l’homme sur la technique et la nature
Cette liberté, que l’homme exerce puissamment grâce à ses outils, devient une souveraineté envers la nature, comme le disait déjà Descartes qui voulait qu’on se rende « comme maîtres et possesseurs de la nature ».
La nature, envisagée du point de vue de la technique et de l’activité souveraine, est réduite au rang de matériau qu’on peut librement exploiter, disposer, agencer, combiner selon nos souhaits et notre puissance. La technique démystifie et désenchante la nature qui, perdant son caractère sacré et mystérieux, devient un ensemble de forces et de matériaux disponibles. Cette souveraineté est d’autant plus forte que la technique se développe par la raison. Un outil, une technique est en quelque sorte le fruit de la raison qui met en place un moyen en vue d’une fin. L’action permise par la rationalité technique est maîtrisée et réfléchie.
La machine, un substitut au travail humain
L’apparition de la machine à la fin du XVIIIe siècle a bouleversé l’histoire des techniques. Qu’est-ce qu’une machine ? C’est un assemblage de parties, un engin construit qui accomplit de lui- même les opérations programmées. L’idée d’automotricité est essentielle à la notion de machine qui accomplit seule la tâche et se substitue au travail humain. Il y a déjà là une perte d’autonomie et de maîtrise qui va se trouver confirmée. Les bouleversements du XXe siècle vont remettre en question la conception instrumentale et traditionnelle et amener certains penseurs à développer une réflexion originale.
La problématique de la technique contemporain
L’ambivalence de la technique
Le XIXesiècle était déjà sensible à l’ambivalence de la technique moderne – comme l’était Mary Shelley dans son célèbre Fran- kenstein, ou le Prométhée moderne (1818). Marx avait montré dans quelle mesure l’apparition des machines à l’époque moderne n’a pas soulagé l’homme de son travail pénible mais a transformé ses conditions de travail. Celui-ci est devenu plus pénible pour l’ouvrier (cadences, dépendance à la machine), même si les machines ont accru la productivité des biens (société de consommation de masse). Ainsi, le progrès que constitue le passage des outils aux machines apparaît comme ambivalent. Esclave du travail, l’homme est devenu esclave des machines qui accomplissent le travail à sa place, comme le montre Charlie Chaplin dans Modem Times (1936). L’introduction de la machine va aliéner le travailleur.
La technique se révèle ambivalente. Il n’est plus possible d’affirmer que les innovations techniques constituent un “progrès”. D’Auschwitz à Tchernobyl, de la manipulation génétique au contrôle chimique du comportement, du perfectionnement des armes atomiques et conventionnelles au bouleversement des conditions de travail, la technique est devenu un risque, une menace, un danger. La maîtrise et la souveraineté qui semblaient la caractériser paraissent plus faibles. La rationalité qui la fondait vacille. L’homme, selon la formule d’Ellul, paraît avoir perdu son autonomie.
Qui est Jacques Ellul (1912-1994) ? De l’œuvre multiple de ce penseur et sociologue français, on a essentiellement retenu sa réflexion sur la technique {La Technique ou l’Enjeu du siècle,
1954). Ellul a développé l’idée que la technique est un phénomène caractéristique et essentiel à la modernité occidentale, qui se développe de lui-même et s’auto-accroît, imposant ses normes d’efficacité au mépris du monde humain.
De la technique aux technologies
Qu’est-ce que la technique moderne ? Bachelard propose le terme de bi-objet ou de technoscience pour qualifier la technique contemporaine. Le progrès technique voit en effet aux XIXe et XXe siècles le passage des anciennes machines aux nouveaux objets technologiques. L’accroissement des connaissances scientifiques, le développement des sciences de la nature comme celui de la biologie autorisent la conception et la construction de techniques révolutionnaires et complexes. Solidaire de la connaissance scientifique des lois de la nature, la technique moderne est donc différente et inédite.
Ainsi, par exemple, une simple lampe électrique la lampe d’Edison requiert la connaissance des lois des phénomènes électriques, au premier rang celle de la résistance qui permet de savoir qu’un fil extrêmement fin qui ne brûle pas peut éclairer. À partir du tungstène, matière artificielle, il devint possible d’inventer un objet technologique inédit : une « lampe » électrique. Elle repose sur un principe (empêcher la combustion du fil) opposé au principe des techniques traditionnelles d’éclairage (où l’on brûlait une matière – cire, pétrole, bois – pour produire de la lumière). Comme la lampe électrique, les techniques modernes reposent sur des connaissances scientifiques et non sur l’imitation des phénomènes naturels.
Vidéo : L’irruption de La technique
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’irruption de La technique
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