Aristote Jusqu'au Moyen age
Pas mieux pendant mille ans
Lorsque les Barbares brûlent les livres ou que l’Église les interdit Aristote passe très près de la disparition définitive.
Mais lorsqu’ils le redécouvrent et le lisent, les hommes de tous les temps ont d’Aristote la même impression que nous : difficile de faire mieux en philosophie, et difficile d’être d’un autre avis quand on a vraiment compris ce qu’il veut dire.
Dans le monde qu’on appelle hellénistique, puis dans les âges barbares qui suivent la chute de l’empire romain, les philosophes qui survivent sont plutôt platoniciens qu’aristotéliciens, et ils sont avant tout attirés par les religions venues d’Orient, au premier rang desquelles le christianisme. Mais les textes d’Aristote ont en partie
survécu, souvent par l’intermédiaire de la civilisation arabe. L’Occident redécouvre tardivement une philoso phie très structurée autour de laquelle se recompose peu à peu la rationalité perdue.
La réacclimatation d’Aristote après la fin du monde antique se fait par une cascade de commentateurs. Aristote est désormais appelé tout simplement « le Philosophe », et c’est sans doute pour lui qu’est inventé l’argument d’autorité : « magister dixit», le maître l’a dit, donc c’est vrai.
La base philosophique de la théologie catholique
Le nouveau monde intellectuel est le monde chrétien, c’est un autre monde. Mais la théologie d’Aristote n’était presque pas une théologie, elle déterminait surtout négativement le divin : une source de tout mouvement elle-même immobile, une pensée qui se pense elle- même… toujours des concepts-limites, hors d’atteinte de notre savoir.
Version expurgée obligatoire
Pas si simple quand même, parce qu’on ne peut pas se cacher qu’Aris- tote… n’était pas chrétien, pas catholique du tout même. Tous les détenteurs du pouvoir ne sont pas des érudits aristotéliciens, et ils estiment qu’il est indispensable de se protéger contre cette doctrine de païen.
Ce n’est pas un si grand problème, en pratique, puisque l’Église considère que les textes originaux, y compris la Bible, ne doivent pas être lus directement par les fidèles, qui risqueraient de s’y égarer. De même qu’on écrit des catéchismes pour simplifier, et en réalité censurer, les textes sacrés, on écrit des traités, des « sommes », pour expliquer, et en réalité censurer, les textes philosophiques.
Retour de bâton
Penseur officiel du Moyen Âge philosophique, malgré toutes ces réserves, Aristote aura bien du mal à passer le cap de la Renaissance et desTemps Modernes. On aura l’impression que toute la rénovation de la philosophie et de la science se fait contre ses méthodes, inacceptables parce que « dogmatiques », et ses thèses, inacceptables Parce que « métaphysiques ».
Lorsque les médecins de Molière se ridiculisent en expliquant pourquoi l’opium endort par la présence en lui d’une « vertu dormitive », cet Aristote et sa théorie des qualités en puissance qu’ils ridiculisent. Mais c’est aussi tout simplement l’ingrate loi des générations qu’ s’applique encore.