L'idée de théodicée : expliquer et justifier
C’est dans ce but précisément que Leibniz superpose, à la distinction ancienne du mal moral et du mal physique, le mal métaphysique : ce dernier est moins une forme particulière du mal, que le principe d’après lequel nous pouvons nous représenter sa possibilité en général. « On demande d’où vient le mal […]. Les anciens attribuaient la cause du mal à la matière, qu’ils croyaient incréée et indépendante île Dieu ; mais nous qui dérivons tout être de Dieu, où trouverons-nous la source du mal ? La réponse est qu’elle doit être cherchée dans la nature idéale de la créature » ; « car il huit considérer qu’il y a une imperfection originale dans la créature ! d’où vient qu’elle ne saurait tout savoir et qu’elle se peut tromper et faire d’autres fautes ».
Or ce qui est en jeu avec ces distinctions et avec cette réduction du mal à la finitude , c’est autant la réalité que la cause du mal. Chercherait-on la cause tic ce qui n’existe d’aucune manière ? C’est pourquoi, selon Proclus, « ce qu’il faut premièrement examiner, c’est si le mal existe ou non ». Ce n’est que si cette question reçoit une réponse affirmative que l’on pourra demander «comment il est» et » d’où il est venu à l’existence ». Le mal existe-t-il ? Si oui, quelle est sa nature ?
Enfin quelle est sa cause ?— telles sont les trois questions qui doivent guider toute enquête rationnelle sur le mal.
Mais ces trois questions en supposent une quatrième qui leur donne leur sens et qui à elle seule résume la tâche propre d’une théodicée : pourquoi le mal ? Supposons que le mal soit, que l’on connaisse sa nature et que l’on ait déterminé sa cause : il reste à déterminer sa raison d’être. On peut demeurer effaré par un crime dont on connaît l’auteur et dont on a identifié le mobile, ou par une catastrophe naturelle parfaitement explicable par les lois de la physique. De même, l’historien de la Révolution française, lorsqu’il assigne les causes ou, comme il faudrait mieux dire, les motifs de la Terreur, n’entend ni magnifier ni justifier les actions de ses héros ; entre V explication par les causes et la justification par les raisons subsiste une distance qui sépare l’histoire de l’apologétique. La métaphysique du mal abolit cette distance. 1 .’explication par les causes s’ordonne en elle à la justification par les raisons, c’est de cette justification que s’inquiète Leibniz lorsqu’il demande, après bien d’autres : Si Deus est, unde malum ? Ce qu’il s’agit de rendre intelligible n’est pas le détail îles phénomènes et des conditions particulières dont ils dépendent mais l’ensemble qu’ils forment et dont le principe devra être dit, lui, inconditionné. Le point de vue de l’ensemble n’exclut d’ailleurs pas, chez Leibniz, celui des parties qui le composent, puisque chacune est le « miroir vivant » d’un univers dont l’harmonie est réciproquement celle des expressions qui le représentent diversement à lui-même. C’est pourquoi justifier le monde tel qu’il existe signifiera trouver qu’il est le meilleur « non seulement pour le tout en général mais encore pour nous-mêmes en particulier ». Exemplaires apparaîtront alors les difficultés soulevées par la souffrance du juste. Elle ne seront pas par hasard au centre de toutes les critiques de la théodicée.L’idée de théodicée