Le concept de dieu après auschwitz : un nouveau mythe de création
Dans la méditation qu’il consacre à la même question, H. Jonas, en quête .l’un nouveau « concept de Dieu après Auschwitz », se veut pourtant à la fois édifiant et convaincant. Certes P« après Auschwitz » est en un sens l’« après » .le toute théodicée mais, où il s’agit d’élaborer un nouveau concept de Dieu, la prétention explicative — sinon justificative — n’a pas entièrement disparu. C’’est d’ailleurs à l’insuffisance des explications traditionnelles du mal que se réfère d’abord Jonas pour introduire son hypothèse. L’une est propre au platonisme et au néo platonisme ; elle est celle d’un medium passif— la matière — ne permettant qu’une incarnation imparfaite du divin ; l’autre est commune au manichéisme et au gnosticisme ; elle introduit une force active du mal égale à la force du bien. Si ces explications sont insuffisantes, c’est pour des raisons symétriques et inverses : en préservant une forme de monothéisme, la première m’empêche de reconnaître l’existence d’un mal positif, effectivement voulu et vécu comme tel ; en reconnaissant l’existence d’un tel mal, la seconde prononce a ruine du monothéisme. La solution de Jonas, plus proche qu’il ne le croit de a doctrine théopaschiste évoquée à l’instant, consiste dans l’idée d’un acte par lequel Dieu, en créant le monde, se dépouille en sa faveur des privilèges du créateur.
Purement spéculative, cette solution passe cependant par l’invention d’un mythe dans lequel la pensée par concepts noue avec la pensée par symboles une dation d’où elle sort à la fois affaiblie et renforcée. Selon ce mythe, Pacte créateur est à la fois un faire-être et un laisser-être : en choisissant de créer le monde, Dieu choisit de lier son sort à la puissance dont il dote ses créatures et qui est .l’abord celle du hasard et de la nécessité qui président à l’évolution cosmique. Il l’y a, dans cette perspective, ni prescience ni prédestination. C’est pour Dieu et ion seulement pour ses créatures que la création est une aventure : chaque espèce différente que produit l’évolution lui est une nouvelle manière d’éprouver son essence cachée et de se découvrir lui même à travers les surprises d’un devenir dont les voies ne sont donc pas celles d’une quelconque Providence. Mais lorsque l’histoire humaine succède à l’évolution naturelle, Dieu se met à trembler ». L’image de Dieu passe tout entière alors sous la Virdc de l’homme. A ce dernier seulement il appartient de l’accomplir ou de la léiruire. Dieu existera, si l’homme choisit de le faire exister ; Dieu mourra — au a–us au moins où son image et son nom auront entièrement disparu de la créa lion — si l’homme choisit de l’ignorer et de le faire mourir. Ce n’est pas Dieu |in peut faire regretter à l’homme mais l’homme qui peut faire regretter à Dieu d’avoir créé le monde.
De ce mythe se « déduisent », souvent loin des concepts théologiques établis, plusieurs « attributs » de Dieu. Ils imposent la figure d’un Dieu en devenir (a), soucieux du sort de sa création (b), souffrant par et avec ses créatures (c) et cela d’autant plus qu’il est un Dieu impuissant (d). C’est en deux temps qu’est déduit ce dernier attribut.
L’affirmation d’un Dieu impuissant passe premièrement par la réfutation logique, ontologique et théologique de l’idée de toute puissance. D’abord, de même qu’il suit du concept de droit que l’on ne peut avoir «tous les droits », il découle du simple concept de puissance que la toute-puissance est une notion en soi contradictoire. Ensuite, toute puissance agissant sur une .mire qu’elle doit vaincre et qui lui oppose sa résistance, une puissance absolue serait dépourvue d’objet. Enfin l’on ne peut, sauf à rendre le mal ou Dieu lui- même inintelligibles, affirmer ensemble la toute-puissance et la toute-bonté divines.
Mais nier la toute -puissance de Dieu n’est pas encore affirma-sou impuissance.À un Dieu simplement limité en puissance, « pendant toutes ces années qu’a duré Auschwitz », il en serait resté assez pour briser la règle libérale qu’il s’était donnée en créant le monde et pour interrompre l’horreur et la souffrance. S’il n’est pas intervenu, et que l’on ne peut pas supposer que c’est parce qu’il ne le voulait pas, c’est donc parce qu’il ne le pouvait pas — c’est parce qu’en créant le monde, Dieu ne s’est pas dépouillé seulement d’une partie mais bien de toute sa puissance.
Ce-disant, Jouas reprend une idée marginale dans le judaïsme mais présente dans la Cabale et ranimée par G. Scholem dans Les Grands courants de la mystique juive:celle d’un Dieu qui se nie lui même pour faire place au monde et à son devenir. De l’interprétation radicale qu’il donne d’une telle idée, Jouas tire lui- même les conséquences : ce Dieu « n’a plus rien à offrir » et « c’est maintenant à l’homme tic lui donner ».un nouveau mythe de création