La volonté perverse : L'intempérant et le pervers
Si l’action volontaire est celle qui dépend tic nous et qui est accomplie en connaissance de cause, et si nul ne sait pleinement ni n’ignore pleinement les circonstances dont elle dépend, alors ne doit-on pas penser que le volontaire est toujours lié en nous à l’involontaire et que nous ne sommes qu’en partie la cause de nos actions? Quelles que soient les incohérences de son argumentation, c’est toujours à cette conséquence que s’efforce d’échapper Aristote. Contre l’Œdipe tic Sophocle et la Phèdre d’Euripide se plaignant de concert d’avoir été livrés « contre leur gré » au destin et à la passion, il élabore une théorie dans laquelle la méchanceté, même lorsqu’elle est suscitée par le désir et fortifiée par le caractère, correspond à une espèce de servitude volontaire. Son but principal est de montrer que l’on doit tenir le vice pour un acte de la volonté libre de l’homme. Car, si le méchant ne sait pas ce qu’il veut, alors il ne veut pas ce qu’il lait; mais, s’il ne veut pas ce qu’il fait, alors il n’est pas méchant.
C’est donc à bon droit que certains commentateurs ont proposé de la thèse aristotélicienne une interprétation qui laisse indéterminée la nature de la connaissance impliquée par l’acte volontaire. Selon cette interprétation, il importe peu que l’on entende par là une connaissance véritable ou une simple croyance (éventuellement erronée). L’homme qui se trompe sur la nature du bien n’agit pas moins volontairement que celui qui en a une conception adéquate; et l’homme qui a cette conception peut toujours lui opposer une volonté contraire à celle qui pourrait logiquement s’en déduire. On le voit : les Grecs n’ont ignoré ni la volonté ni la liberté. Saint Augustin et saint Thomas d’Aquin n’auraient pas trouvé sans cela chez Aristote les linéaments de leurs propres doctrines du mal et du péché.
Il y a une différence cependant entre une volante qui trouve en elle-même son origine, et une volonté qui trouve en elle-même sa fin. C’est cette différence qu’implique l’idée de perversité. Quand l’intempérant agit contre ce qu’il sait ou croit savoir être l’action la meilleure, c’est le plus souvent parce qu’il s’est laissé vaincre par la passion ou par des dispositions acquises; la lâcheté en témoigne par privilège : elle est l’acte d’une volonté défaite par un mobile —la peur — dont toute la force vient de sa faiblesse .la Phèdre d’Euripide