La volonté ignorante : Volonté ignorante ou ignorance volontaire ?
Mais l’éducation n’est pas pour Platon la cause déterminante du vice et de la vertu. On ne saurait « l’introduire dans l’âme, où elle n’est point, comme on donnerait la vue aux aveugles ». Il n’y aurait sans cela rien à louer chez le philosophe et rien à blâmer chez le sophiste —ce philosophe corrompu. Certes, certaines âmes sont faites d’or, d’autres d’argent, d’autres encore de fer ou mais, quel que soit le métal dont elle est faite, chacune est responsable ‘le sou entretien ou de sa dégradation. il en est de même de la connaissance : loin d’être une marchandise susceptible d’être achetée ou vendue, elle requiert, outre la faculté d’apprendre et l’organe destiné a cet usage, une orientation de l’âme qui ou bien se tourne vers le bien, ou bien s’en détourne par l’effet des plaisirs et les appétits de ce genre. Selon cette orientation, fortifiée dans les deux cas par l’exercice, elle deviendra utile ou nuisible . Ainsi, pus pins que l’ignorance n’a par elle-même le pouvoir de rendre l’homme méchant, la connaissance n ‘a par elle même le pouvoir de le rendre bon. Comment ne pas remarquer d’ailleurs combien ont « perçants » les yeux des méchants et « avec quelle acuité ils discernent les objets vers lesquels ils se tournent » ? Leur âme n’a pas une vue faible ; bien au contraire, « plus sa vue est perçante, plus elle fait le mal » et il faut pour cela parler non de son ignorance mais de sa « malice ». « C’était une crapule mais il raisonnait juste », disaient du père Karamazov, après sa mort, ceux qui l’avaient connu.
Le vice, sans doute, s’apparente pour Platon à la maladie , et cette maladie est d’abord celle de l’esprit qui ne connaît ou n’entend pas clairement le Rien. Mais, comme le montre exemplairement, dans le gorjias, l’entretien de Socrate avec Calliclès, il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre — ni pire malade que celui qui ne veut guérir. Et si le sophiste manque, en effet, de la science véritable, c’est moins ce défaut qui le définit, que le choix qu’il a fait de rester ignorant. Jusqu’à quel point d’ailleurs l’est-il ? Calliclès n’est pas Polos, le précédent interlocuteur de Socrate dans ce dialogue. A celui-ci, il suffisait de montrer son erreur et de rectifier son jugement relatif à ce qui est bien et a ce qui est juste ; aussi est ce à lui que s’adresse la thèse du mal involontaire. Mais pour celui-là — la progression dramatique du dialogue, à elle seule, le montre —, cette méthode ne suffit pi us ; et tout se passe comme si le père de la philosophie, confronté à une violence sur laquelle l’argumentation n’a pas prise, dénonçait lui même la thèse qu’il avait d’abord soutenue. L’un ne sait pas ce qu’il veut, l’autre ne veut pas savoir. Ignorant volontaire, il est donc aussi un méchant volontaire. Ce n’est pas parce qu’il ne connaît pas le Bien qu’il est méchant mais parce qu’il est méchant qu ‘il ne cannait pas le Bien.Le vice et de la vertu