La volonté faible : Nul n'est méchant involontairement
Or ce qui s’applique aux dispositions et aux passions, s’applique aussi à la raison. Comme c’est volontairement, lorsque nos dispositions et nos passions nous inclinent a rechercher les plaisirs excessifs, que nous choisissons de nous détourner de la raison, c’est volontairement, lorsque la raison nous montre où est le bien, que
nous nous laissons aveugler par nos dispositions et nos passions. Il est possible ainsi de rejeter la thèse selon laquelle il ne dépend pas des hommes, qui tous veulent le bien, de confondre le bien apparent et le bien réel. Car, « si chacun est en un sens cause de ses propres dispositions, il sera aussi en un sens cause de l’apparence », et l’on pourra lui imputer son ignorance comme si elle avait été consciemment et positivement voulue comme telle. L’ignorance est une maladie moins de l’intelligence que de la volonté.La vue que nous avons du bien, quel que puisse être celui ci, ne nous est pas donnée par la nature mais par nous-mêmes. Elle dépend elle aussi du « soin » et de l’« exercice ». D’ailleurs nous tenons communément pour responsable de son ignorance et n’hésitons pas à punir quelqu’un qui agit en état d’ébriété. Nous punissons également ceux qui sont dans l’ignorance des lois dont l.i connaissance est obligatoire. Et nous agissons de même toutes les fois que nous .nous l’idée qu’il dépendait des intéressés tic ne pas rester ignorants et de s’appliquer à s’instruire . A y bien regarder, par conséquent, ce n’est pas l’ignorance qui explique le vice mais le vice qui explique l’ignorance. Et ce vice, comme tout vice, est volontaire. Il ne pourrait sans cela nous être reproché — pas plus que la vertu nous valoir louange et récompense.
il est vrai que, si le méchant, comme l’homme de bien, est cause de ses actions, il ne l’est pas aussi évidemment de leur fin. La psychologie aristotélicienne situe celle-ci dans le désir tenu alors pour une faculté distincte de la volonté .Ainsi, par exemple, ce n’est pas volontairement que je convoite le bien d’autrui : j’y suis disposé avant toute réflexion sur cette fin et toute délibération sur les moyens de la réaliser ou de m’en défendre. lorsque la volonté entre en jeu, la convoitise est déjà donnée comme un fait à l’égard duquel la première peut seulement accorder ou refuser son assentiment. Or certains hommes tiennent pour désirables certaines lins pour lesquelles tous les autres éprouvent naturellement de la répugnance. Ne doit-on par conséquent renoncer à leur imputer celles-ci et les tenir pour les marques d’une nature vicieuse ? il faut répondre ici par une autre question : les fins que poursuit le désir sont-elles déterminées par la nature ou par une volonté pervertie par de mauvaises habitudes? On doit parler sans doute, dans le premier cas,« de dispositions bestiales » ou de « propension morbide », mais cette propension et ces dispositions tombent « hors des limites du vice ». La bestialité n’est pas la méchanceté.Elle est un mal moindre que le vice. En témoigne le lait qu’un homme mauvais puisse causer infiniment plus de violences qu’une bête brute En témoigne surtout le fait que le jugement moral ne s’applique à proprement parler qu’au vice, compris comme une action accomplie en connaissance de cause. On peut certes supposer les dieux bons et les brutes mauvaises par nature. Mais, de même que les dieux sont au-dessus de la vertu, les brutes sont au-dessous du vice. S’il est vrai que nul n’est méchant naturellement, il est donc bien faux que nul ne soit méchant volontairement.méchant volontairement