La volonté faible : La force de l'habitude
Encore ne peut-on déduire, même alors, l’action vicieuse du caractère ou de la disposition correspondants. Le ferait-on que l’on n’expliquerait pas les oscillations fréquentes de la conduite, qui rendent les mêmes hommes capables du meilleur comme du pire. On oublierait surtout que ce que l’habitude fait, elle peut aussi le défaire. Si l’on peut, comme on dit, « prendre de mauvaises habitudes », on peut aussi en acquérir de bonnes. Descartes a montré comment il n’y avait pas d’âme si faible qu’elle ne pût, « par habitude », fortifier progressivement en elle une disposition à la vertu et s’opposer ainsi au vice auquel paraissait la condamner une volonté serve . Comme l’injustice ou la lâcheté, « la générosité peut être acquise ». Et il faut affirmer qu’à l’égal des vices, « les vertus sont des habitudes ». C’est pourquoi le caractère est permanent mais non immuable ni irréversible. C’est pourquoi surtout nous sommes responsables non seulement de nos mauvaises actions mais encore de notre mauvais caractère et de nos mauvaises dispositions.
Ces dispositions, sans doute, ne sont pas volontaires de la même façon que nos actions : elles ne sont pas, comme ces dernières, « sous notre dépendance absolue du début à la fin ». Mais, s’« il dépendait [d’abord] de nous d’en faire tel ou tel usage », alors il dépend encore de nous d’en suivre ou de n’en pas suivre présentement la sollicitation. Il v a, certes, une spirale de la paresse ou de la violence qui aliène progressivement ceux qui s’y abandonnent et nous autorise à en parler comme de dispositions permanentes. Mais ces dispositions sont moins les causes qui expliqueraient réellement l’action, qu’une manière équivoque d’exprimer l’intention qui la commande et qui nous fonde a l’imputer à son auteur. Il n’y aurait pas de mauvaises actions, s’il n’y avait pas de méchants hommes ; mais il n’y aurait pas de méchants hommes s’il n’y avait pas de mauvaises actions comprises comme les réitérations d’un même « choix intentionnel ». D’ailleurs il n’est pas un homme, en tant précisément qu’il est homme, qui ne puisse faire un choix contraire à ses habitudes s’il juge que ce choix est préférable. Voudrait-on interpréter dans un sens naturaliste ces dispositions que l’on n’en devrait donc pas moins admettre que celles-ci, comme eût dit Leibniz, « inclinent sans nécessiter », et que le vice est par essence un choix volontaire.La force de l’habitude