La raison et le réel :Vérité formelle et vérité matérielle: vérité formelle
La distinction que fait Nietzsche entre monde rationnel et monde réel ne conduit pas forcément à remettre en cause toute vérité. Elle renvoie plutôt à une distinction qu’avait déjà établie David Hume entre vérité formelle et vérité matérielle. Mais comprendre et éclairer cette différence suppose d’abord de s’interroger sur les différents usages de la raison raisonnant.
Dans le domaine de la connaissance et des sciences en général, il existe deux façons de raisonner : soit par déductions, soit par inductions. Le raisonnement par déductions consiste à partir de principes ou de cas généraux pour en extraire des cas particuliers. Un tel raisonnement, du fait de sa nature tautologique, n’invente rien et n’apporte pas grand-chose puisque ce que l’on trouve dans sa conclusion était déjà contenu dans son principe. Il permet par exemple de montrer que « la somme des mesur des angles d’un triangle est égale à 180° » ou encore que « le carré i l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés ». I consiste donc à développer ou à analyser un certain nombre de relatic logiques entre des postulats, des nombres ou des figures sans nécessiti pour autant l’existence de ces postulats ou de ces objets dans le mon réel. Ce type de raisonnement est donc de type analytique ; il s’appliq et s’exerce dans toutes les sciences où la vérité peut se définir cor adéquation de la pensée avec elle-même, ou plus simplement cor absence de contradictions. Une telle vérité est dite formelle et se retrou principalement dans la logique et les mathématiques ; c’est-à-dire da les « sciences pures ».
Mais dans les sciences appliquées, c’est-à-dire dans toutes les sciences t supposent d’entrer en relation avec le monde réel (et non pas seulema avec le monde de la raison), la déduction ne suffit pas, il faut aussi * surtout de l’induction. Le raisonnement inductif consiste à essayer d’ét un cas général à partir de cas particuliers. Une telle exigence néce l’élaboration ou l’observation d’expériences afin de faire la synthèse i différents éléments particuliers et bien réels. Dès lors la vérité ne peut 5 seulement se définir comme absence de contradiction comme le ma brillamment Hume dans son Enquête sur ¡’entendement humain.
Hume, Enquête sur l’entendement humain, section IV, partie I, 1748
« Tous les objets sur lesquels s’exerce la raison humaine ou qui sollicitent nos recherches se répartissent naturellement en deux genres : les relations d’idées et les choses de fait. Au premier genre appartiennent les propositions de la géométrie, de l’algèbre et de l’arithmétique, et, en un mot, toutes les affirmations qui sont intuitivement ou démonstrativement certaines. Cette proposition : le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés, exprime une relation entre ces éléments géométriques. Cette autre : trois fois cinq égalent la moitié de trente, exprime une relation entre ces nombres. On peut découvrir les propositions de ce genre par la simple activité de la pensée sans tenir compte de ce qui peut exister dans l’univers. N’y eût-il jamais eu dans la nature de cercle ou de triangle, les propositions démontrées par Euclide n’en garderaient pas moins pour toujours leur certitude et leur évidence.
Les choses de fait, qui constituent la seconde classe d’objets sur lesquels s’exerce la raison humaine, ne donnent point lieu au même genre de certitude ; et quelque évidente que soit pour nous leur vérité, cette évidence n’est pas de même nature que la précédente. Le contraire d’une chose de fait ne laisse point d’être possible, puisqu’il ne peut impliquer contradiction, et qu’il est conçu par l’esprit avec la même facilité et la même distinction que s’il était aussi conforme qu’il se pût à la réalité. Une proposition comme celle-ci : le soleil ne se lèvera pas demain, n’est pas moins intelligible et n’implique pas davantage contradiction que cette autre affirmation : Il se lèvera. C’est donc en vain que nous tenterions d’en démontrer la fausseté. Si elle était fausse démonstrativement, elle impliquerait contradiction, et jamais l’esprit ne pourrait la concevoir distinctement. »
En distinguant « relations d’idées et choses de fait », Hume indique la limite et la différence essentielle qui existent entre les sciences pures et toutes les autres sciences, appliquées ou humaines. Et cette différence a comme conséquence la remise en cause de la vérité matérielle. Car, à partir du moment où la raison se penche sur le réel pour essayer d’élaborer ou d’en extraire une vérité matérielle, elle rencontre des obstacles qu’elle ne peut franchir, à moins de truquer les règles en jouant avec des dés pipés, ou en remplaçant certaines cartes par d’autres.
Le principal tour de passe-passe de la raison consiste à faire passer le général pour de l’universel, en nous faisant croire qu’il est possible à partir de la simple répétition d’expériences, d’observations et de faits d’établir des lois scientifiques universellement valables. Nous faisons de même lorsque nous nous croyons fort rationnels en affirmant que demain le soleil se lèvera puisqu’il le fait depuis la nuit des temps. Pourtant, il est facile de s’apercevoir, dans cet exemple, que ce que j’appelle de la rationalité n’est que de l’habitude ; car, au fond, il est bien possible, pour des raisons que j’ignore et ne connaîtrai peut-être jamais, que le soleil ne se lève pas demain.
Et de la même façon que j’ignore ce que sera l’avenir, j’ignore, en réalité, la plupart des causes qui expliquent aussi bien les faits passés que les faits présents. Car il est non seulement impossible de refaire certaines expériences ou de faire toutes les expériences possibles, mais aussi parce qu’il m’arrive de confondre la cause et l’effet ; mais encore parce que je suis prisonnier d’une subjectivité, d’une singularité ou d’une particularité qui semblent interdire tout accès à une hypothétique universalité synonyme de vérité.
On comprend alors qu’il est impossible de réaliser une induction valable en s’appuyant sur le réel, et, par cela même, inenvisageable de pouvoir affirmer une quelconque vérité matérielle. Cette impossibilité peut même être vue comme une absurdité, lorsque j’essaye d’appliquer un raisonnement de type inductif ou synthétique à l’homme lui-même. Comment peut-on espérer parvenir à des généralisations et à des lois dans les sciences humaines, alors que l’homme n’est pas seulement imprévisible et changeant, mais aussi et surtout libre ?
Tous ces obstacles supposent donc de repenser le rapport entre raison, science et vérité, et de se demander quel genre de vérité est élaboré et recherché par la science.
Vidéo : La raison et le réel :Vérité formelle et vérité matérielle
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