Nietzsche La grande santé
Le culte de la maladie
Dans notre époque « morale », c’est la dernière et la plus fragile crél tion de la vie, la conscience qui se permet maintenant de juger la vï de disserter sur sa valeur ! De lui donner des ordres ! Evidemment elle n’y arrive pas, elle se rend compte que rien n’a de valeur, qu’a n’y a plus de valeurs, qu’elle n| parvient pas à en inventer et à en imposer. D’où une ruse : l’absence di valeurs, le vide, le rien (nihilo latin), voilà la nouvelle valeur. Labsen d’idoles, voilà la nouvelle idole.
Mais au moins, quand on adorait de fausses valeurs, on y puisait des énergies I Alors que le vide n’engendre rien, il se lamente sur lui-même sans fin. La complaisance nihiliste est l’absence de pensée élevée au rang de pensée suprême, la mise en valeur de l’absence de valeur. Nous nous faisons du mal.
Dernière volonté ascétique
Le nihilisme, dépression nerveuse chronique dont souffre notre civilisation, se traduit par une conduite d’automutilation de la vie, appelée par Nietzsche Yascétisme, un masochisme moral et physique.
Essayer de ne pas vivre, de vivre le moins possible, de manger, jouir, aimer, haïr, souffrir le moins possible, voilà un but de vie… mais combien morbide, combien contradictoire. L’homme en est venu a tellement se détester, à détester son corps, ses instincts, qu’il se fixe comme projet sa propre autodestruction. Le rien vaut mieux que moi- C’est la dernière étape avant la disparition totale de notre forme culturelle, sa dernière volonté, qui est quand même une volonté, un dernier essai, minimal et contradictoire, pour vivre.
Réhabiliter le corps
Pour guérir vraiment,cessons de considérer ces probléme comme des choix intellectuels ou « moraux », ramenons-les à leur vrai niveau :le corps,ses muscles et organes, l’estomac, le sexe, c’est de cela qu’il s’agit dans les problèmes de santé, y compris les maladies de civilisation.
Selon Nietzsche, le corps a pour activité principale l’évaluation, l’interprétation. Les pensées sont toujours des symptômes du corps, de ses faiblesses ou maladies, ou bien de sa vigueur, de la libre expression de ses désirs et besoins. Le corps peut fonctionner selon un régime maladif, où les interprétations sont autant de symptômes, mais il pourrait aussi fonctionner selon un régime de santé, la grande santé vitale, et alors ses interprétations seraient autant de valeurs créées.
Car le corps a ses valeurs, la joie, la santé, la dépense libre de ses forces et la satisfaction de ses instincts, éventuellement avec excès. Contre les valeurs négatrices et réactives des religions et des philosophies, il faut d’urgence réhabiliter les valeurs du corps.
Le gai savoir, la santé morale
En nous épargnant toute la tuyauterie psychanalytique, barrages et refoulements, fuites qui suintent et canalisations sublimées, Nietzsche nous ramène à notre existence comme corps, débordant de désir, sauvage, indifférent à toute morale. La civilisation est une maladie, mais °n peut en guérir. Il faut même inventer une nouvelle forme de santé, de santé morale, c’est-à-dire Physique. Une santé qui n’est pas subie mais conquise, sans cesse gagnée, arrachée au destin, une santé inventée et créée comme une uvre d’art.
La véritable pensée, alors, n’aura plus rien à voir avec les mesquineries de la « vérité ». Nietzsche ressuscite un mot oublié pour nommer c6 nouveau savoir, la « gaya scienza », le gai savoir.