De la théorie à la pratique : La critique Kantienne de la théodicée
La théodicée comme illusion et comme mensonge
Application spécifique des objections adressées à la théologie rationnelle, la critique kantienne de la théodicée suppose en effet celle de l’illusion transcendantale, laquelle se produit toutes les lois que la raison « méconnaît présomptueusement ses bornes ». On peut vouloir chercher dans l’expérience des marques de la puissance et de la bonté de Dieu mais « il faudrait être omniscient pour reconnaître dans le monde donné |…] cette perfection dont on puisse dire avec certitude que partout f… | il n’en est pas de plus grande’1 ». Ce serait, autrement dit, pour un conditionné, chercher l’inconditionné et faire un usage transcendant du principe de raison. Dans l’écrit sur la théodicée, on voit Kant « reproduire en raccourci le mouvement de toute sa philosophie, repasser par la double phase de destruction critique et de reconstruction pratique et nous donner ainsi un résumé, un échantillon de sa méthode générale ». Cette reconstruction suppose qu’il existe, à côté de la « théodicée doctrinale », une « théodicée authentique », « plutôt affaire de foi que de science » et susceptible d’avoir pour la métaphysique des mœurs une valeur qu’elle n’a pas pour une métaphysique qui se présenterait comme science.
Dans ses Considérations sur l’optimisme, publiées en 1759, Kant se proposait de justifier par des raisons a priori la thèse leibnizienne selon laquelle le monde existant est le meilleur des mondes possibles, et il opposait avec assurance, à la présomption des adversaires de la théodicée, l’humilité qui permet de se vouloir seulement une « portion » d’un ensemble et de comprendre que « l’ensemble est au mieux ». En 1791, le présomptueux n’est plus celui qu’on croyait : ce n’est plus celui qui fait valoir son expérience contre l’universalité de la raison et de ses principes mais celui, au contraire, qui croit pouvoir par la raison franchir les bornes de l’expérience (même s’il se flatte de retrouver dans celle ci les voies du Seigneur). La théodicée n’est plus alors qu’un «assemblage de notions» que nous ne pouvons pas « comprendre », faute de pouvoir nous élever jusqu’à la connaissance du monde intelligible.
Kant cependant ne se contente pas de tenir pour indécidables les propositions visant à concilier théoriquement l’existence du mal et la perfection divine, il tient encore pour condamnable l’« hypocrisie » de ceux qui, tels les amis de Job, « défendent Dieu avec injustice » et cherchent seulement à s’attirer par leurs discours les bonnes grâces du Créateur. Rejetée sur le plan théorique comme une illusion, la théodicée est dénoncée sur le plan pratique comme un m eu son rie. Le théologien dogmatique ne se trompe pas seulement : il trompe ; et en trompant ainsi, il manque à son devoir autant qu’à la vérité. Se faisant, pour ainsi dire, l’avocat du diable, et considérant tour à tour le mal moral, le mal physique et ce qu’il appelle le mal d’injustice, c’est à dire « le déséquilibre des fautes et des châtiments », Kant réfute donc rapidement tous les arguments avancés par ce dernier.La théodicée comme illusion et comme mensonge