Contre -existence et mal moral
A la première question, Proclus répond : celle de nier la nature, comprise précisément comme un réservoir de formes intelligibles offertes à notre contemplation et propres à servir de modèles à nos actions. Certes, rien n’empêche de voir, dans cette puissance apparente, une impuissance réelle : l’impuissance de l’âme, lorsqu’elle se laisse entraîner par ses appétits et ses passions, « à persévérer dans la connaissance du vrai en soi et de la clarté qui règne là-haut »; aussi Proclus semble- t-il parfois faire sienne une hypothèse qu’il attribue à son tour à Platon et qui est celle d’un mal involontaire. Mais « comment il peut se faire que le mal existe dans cette âme et pourquoi Platon l’a nommée malfaisante », c’est ce qui reste dans cette hypothèse inexpliqué. Si l’on ne peut prétendre sans incohérence que celle-ci a été dotée originellement d’une telle nature, alors il huit affirmer, au contraire, que « c’est à elle-même qu’elle doit son mal et sa faiblesse », que non seulement elle est dépourvue des qualités contraires mais « ne désire pas les acquérir ». Que le mal « utilise à son profit la puissance du bien », cela signifie dans ce cas, non qu’il est étranger à la raison mais, comme le répétera Kant, qu’« il [met| la puissance de la raison et ses inventions au service des appétits ». Ainsi s’explique la perversité du sophiste. Ainsi surtout est préparée la réponse à la seconde question, celle qui concerne l’origine de l’indétermination caractéristique de la puissance dont Pâme dispose dans le mal comme dans le bien.
Que peut bien signifier en effet, sur le plan moral, la par hypostase ? « Génération sans fin, sans but, en quelque sorte sans cause et sans détermination », comment peut-elle s’appliquer à un être qui « comporte du pire et du meilleur, l’un alternant avec l’autre», et qui se montre ainsi capable de s’élever ou de s’abaisser, de se grandir ou de se perdre? Négation de la nature, n’est-elle pas, en cela même, affirmation de la liberté— d’une liberté capable, si elle le veut, de faire exister ce qui n’est pas) Telle sera, en dépit de ce qui subsiste, dans sa pensée,d’ontologie néo-platonicienne, la réponse de Pic de la Mirandole . Mais, là ou » c dernier voit explicitement, dans la possibilité donnée à l’homme ou bien de dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales », ou bien de se « régénérer en formes supérieures, qui sont divines », l’effet d’une « décision » qui révèle en lui le pouvoir arbitral de se modeler et de | se | façonner | lui]-même », Proclus se contente d’une allusion au mythe platonicien de l’attelage ailé, où deux chevaux tirent, l’un vers le bas, l’autre vers le haut, et ne peuvent être maîtrisés qu’à grand peine. Il dit clairement que Dieu n’est pas cause efficiente du mal moral, mais moins clairement que cette cause se trouve dans la volonté de l’homme. Le concept kantien de « grandeur négative » se trouve plus qu’en germe dans sa doctrine, mais non celui d’un « mal radical ».Proclus