L'injustifiable
Que le mal ne soit pas coordonnable à une économie générale des choses ou à la rationalité d’un tout qui en inverserait le signe, c’est précisément ce qui amène J. Nabert, dans une perspective qui se veut indépendante autant de la religion que de la métaphysique, à tenir le mal pour « l’expérience de l’injustifiable1 ». Cette expérience est celle d’une contradiction plus radicale que celle qui opposerait des valeurs ou qu’impliquerait la transgression d’une norme préexistante. Appliquée au mal subi, elle est celle de « déchirements de l’être intérieur » sans apaisement concevable ; appliquée au mal commis, elle est celle d’actes sans compensation imaginable. L’injustifiable, autrement dit, n’est pas une limite qui pourrait être déplacée ou reculée ; il n’est pas non plus, comme la « négativité » hégélienne, ce qui se nie soi-même et porte plus haut le devenir de l’Esprit. Négation absolue, il sanctionne, a chaque fois, un divorce avec la structure du monde. Or ce divorce n’oppose pas simplement l’individu à l’universel : il oppose encore chacun à lui- même. Dans la souffrance, ainsi, l’absolutisation du moi ne fait qu’une avec son humiliation : en annulant les médiations qui fondent son appartenance au monde, elle suspend l’acte par lequel il affirme son existence. Nulle harmonie supérieure ne supprime donc la démesure dont cette expérience est le lieu — et nulle comptabilité générale des biens et de maux. Promotion aporétique de l‘existant singulier., l’injustifiable est l’incommensurable ; il est précisément ce qui interdit de réduire le mal à une partie dans un tout ou a un moyen en vue d’une fin.L’injustifiable