Platon L'amour
Lorsqu’il écrit sur l’amour (dans le Banquet) Platon atteint un sommet de son art et de sa pensée. La puissance évocatrice de ce texte a marqué toute notre civilisation.
L’histoire est celle d’un banquet philosophique, où les invités, médecins, poètes, philosophes, se lancent dans des éloges de l’amour. L’ambiance philosophique est soutenue par la consommation immodérée de boissons alcoolisées.
Éros
Un éloge de l’Amour, c’est un discours à la gloire de son dieu, Éros.
Éros est le plus grand dieu, commencent par soutenir les discoureurs, celui qui mène au bonheur, celui qui guérit de tout. C’est à Éros que devraient être élevés les plus beaux temples. Acclamations.
Pas si simple, renchérit un autre, car il existe deux sortes d’amour, très différentes : une forme qui nous élève et une forme qui nous abaisse. Seule est digne de louange la forme supérieure de l’amour, et on la reconnaît à ceci : l’amant est plus amoureux de l’âme que du corps de son aimé(e) — ce qui n’empêche pas d’aimer le corps, Platon n’est pas platonique. Cet amour de l’âme est donc proche de celui qui prend place dans l’éducation, lorsque les âmes des amants s’aident l’une l’autre à progresser vers l’excellence.
L’origine mythique de l’amour
C’est à ce moment que l’un des convives, Aristophane, raconte le mythe des origines de l’amour: au commencement les humains étaient des boules, avec quatre mains, quatre jambes, deux visages, etc. Ils roulaient dans un bonheur tel… que les dieux le trouvèrent insolent. Zeus eut alors l’idée de couper en deux ces humains-boules, qui depuis n’ont qu’un visage, que deux mains et deux pieds. Après cette tragique séparation,chacun des humains ne vit plus que pour retrouver et pouvoir serrer dans ses bras la moitié qu’il a perdue,s’unir à elle jusqu’à mourir de faim et d’inactivité. Par une habile disposition des parties génitales, les dieux s’arrangent pour que ces accouplements donnent naissance à d’autres humains, et que l’espèce survive quand même.
D’où la vérité profonde de l’Amour : il reconstitue notre nature primitive, celle du paradis perdu, en unissant deux êtres en un seul pour « guérir la nature humaine ». Lamour nous lance dans la recherche d’une âme-soeur prédestinée, qui guérit notre insuffisance. L’instant de la fusion charnelle reconstitue le bonheur absolu de l’origine.
Diotima
Socrate va encore plus loin, en rapportant les paroles d’une femme mystérieuse, Diotima (évidemment, ce n’est pas par hasard que Platon laisse la parole à une femme sur l’amour). LAmour, qui est énergie du désir, est avant tout un intermédiaire, un intermédiaire entre l’humain et le divin. Son but véritable est l’engendrement dans la beauté. Dans l’union des corps, l’amour représente un élément divin dans la vie humaine, la capacité de créer. Mais cette présence du divin immortel dans l’humain mortel va plus loin, elle concerne essentiellement l’âme.
Parcours initiatique de l’amour
Le véritable Amour est éducateur, affirme Diotima, mais en un sens mystique, c’est-à-dire qu’il constitue une initiation au divin, un parcours initiatique : d’abord attiré par la beauté physique, par la beauté d’un corps particulier ; puis au-delà attiré par la beauté des corps en général, la beauté physique en elle-même ; puis au-delà attiré par la beauté de l’âme, de plus grande valeur que celle des corps ; puis au-delà attiré par la beauté la plus pure en elle-même, celle que contemplent les âmes, la Beauté suprême, surnaturelle, indicible, qui dépasse toute expérience. Ce niveau mystique achève le retour au divin.