Romantisme;comment croire aux mythes
Mais les mythes gréco-latins eux-mêmes recèlent un sens religieux. Joseph de Maistre, ainsi que Lamennais dans l’Essai sur l’indifférence, fait apparaître, dans le paganisme, les vérités adultérées du monothéisme chrétien ; dans le onzième Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg, le Sénateur, qui est un illuminé, affirme : « Il sera démontré que les traditions antiques sont toutes vraies ; que le Paganisme entier n’est qu’un système de vérité corrompues et déplacées ; qu’il suffit de les nettoyer pour ainsi dire et de les remettre à leur place pour les voir briller de tous leurs rayons » ; ainsi, lit-on dans l’Eclaircissement sur les sacrifices, pour qui sait interpréter, « il est bien vrai que Minerve est sortie du cerveau de Jupiter…, il est bien vrai qu’Hercule ne peut monter sur Olympe et y épouser Hébé qu’après avoir consumé par le feu sur le mont Œta tout ce qu’il avait d’humain ». Dans les seize volumes du Catholique, le baron d’Eckstein ne se lasse pas de redécouvrir le « catholicisme antérieur » dans le paganisme et, aussi, chez les Indiens, les Perses, les Scandinaves. Pour lui, comme pour Maistre et Lamennais, ces concordances obligent à croire à un révélation primitive.
Le baron d’Eckstein apportait en renfort la science de Frédéric Creuzer (24), l’auteur de la Symbolique, que Guigniaut traduit et enrichit de 1825 à 1851. Partant de la philosophie de Schelling, Creuzer montre, dans la nature, un ensemble immense d’analogies et de symboles, manifestant l’infini sous des formes accessibles^ à des esprits finis. Le symbole, qui est ainsi « la forme primitive de l’intelligence humaine », donne naissance au mythe, qui le développe sous la forme d’un récit. A passer du symbole, cultivé par les Egyptiens, au mythe devenu luxuriant à l’âge épique, avec les poètes homériques, la vérité religieuse primitive s’est corrompue ; la tradition en a été, cependant, conservée dans les mystères ; enfin, les néo-platoniciens ont rétabli le mysticisme et le symbole dans la mythologie, dont le christianisme a pu s’assimiler maints aspects. Il faudra donc interpréter tous les mythes, pour en dégager le sens religieux, la valeur mystique. Ce système connut le plus grand succès. Il s’appuyait sur les séduisantes idées-forces de tout occultisme : révélation primitive et universelle analogie. Il répondait aux besoins religieux d’une époque anxieuse de croire ; comme l’a, en effet, remarqué Henri Peyer (136), « la symbolique seule peut sauver les religions, car seule elle permet d’interpréter les mythes au gré de chacun ».