"Jean Le Maire Belgeois qui l'ame avoit d'Homère le Gregeois"
Jean Lemaire de Belges (62) assurément ne mérite point cet éloge que lui adressait Clément Marot. Mais c’est bien lui qui, dans nos lettres, assure le passage du Moyen Âge à la Renaissance. En 1505, il compose les Épîtres de l’Amant vert, qui rapportent le suicide par amour du perroquet de Marguerite d’Autriche : tel est « l’amant vert » qui, dans la Seconde Epitre, raconte à sa trop chère maîtresse sa descente aux enfers, sous la conduite de Mercure, et son arrivée aux Champs-Elysées des bêtes vertueuses. Jean Frappier ( 64) a inventorié les sources, de ce récit : la mythologie et Ovide, mais Dante aussi, les légendes celtiques, qui connaissent le « Paradis aux oiseaux », la Bible et les vies des saints, riches en animaux miraculeux, etc. ; il conclut que ces enfers constituent une vraie concorde du Moyen Age et de l’Antiquité. N’y voit-on pas, parmi les monstres qu’enferme « le fleuve Flegeton », ensemble
… Hydra, le serpent à sept testes,
Qui fut jadis occis par Herculés,
et le dragon « auquel jousta saint George » ? Aux Champs-Elysées, l’Amant Vert aperçoit « l’oyë du Capitolle »…
Et le bon cocq, qui saint Pierre advisa
De son mespris, dont grand los et pris a ;
le dauphin d’Arion fait bon ménage avec « le pourceau Saint Anthoine » et
De lusignen la tresnoble serpente…
Dans La Concorde des deux langages, composée en 1511, le Temple de Vénus a les apparences d’une église gothique et les divinités païennes s’y mêlent aux allégories médiévales :
Satires, pans, egipans, dieux agrestes,
Et Silvanus, par les bois honnouré,
y assistent au culte célébré par l’archiprêtre Genius, que secondent Dangier, le diacre, et Bel-Accucil, le sous-diacre ; quant à Vénus, elle est suivie par « ses fées » ; Lemaire de Belges, comme le fera Ronsard, assimile les nymphes et les fées gauloises ou françaises de l’existence desquelles peut-être il ne doutait pas tout à fait… Clément Marot imitera ces descriptions dans son Temple de Cupido. Puis, dans Les trois Contes intitulez de Cupido et d’Atropos, Lemaire de Belges nous apprend que l’Amour et la Mort, un jour, échangèrent leurs flèches ; de grands malheurs en résultèrent, dont le principal fut la vérole ! Il fondait là une tradition, celle des joyeusetés mythologiques, qui devait se révéler particulièrement vivace…
La gaillardise n’empêche point le sérieux. La mythologie est chose grave dans Les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, qui, publiées de 1511 à 1513, rencontrèrent le plus grand succès. Lemaire de Belges, après avoir donné l’« explication tant morale comme philosophale et historiale » des noces de Thétis et de Pelée, rapporte que certaines de ces explications furent exposées par le païen Niceta à Clément, le quatrième pape, en présence de saint Pierre, qui les loua fort et n’y trouva rien à reprendre ; le Prince des Apôtres nous enseigne que les fables ne sont donc nullement « pleines de menterie et vanité ». Puis ces mythes « ethnogéniques » qui constituent le sujet de son œuvre, Lemaire ne les raconte pas sans intention politique ; en montrant la haute, prestigieuse et identique provenance herculéenne et troyenne des maisons des Gaules celtique et Belgique, il incite à l’union des couronnes de France et d’Autriche et prêche à la chrétienté réconciliée la croisade contre les Turcs, pour leur reprendre Troie ! Le XVI siècle va nouer l’alliance entre les divinités antiques et les maisons royales d’Europe.