Parnasse; Louis Ménard le païen mystique
Heredia et Régnier relèvent de l’hellénisme artiste dont Banville fut l’initiateur ; Louis Ménard, qui, avec Thalès Bernard, initia Leconte de Lisle, appartient à l’autre famille et, comme Ballanche, cherche dans le paganisme une pensée. Thalès Bernard y retrouve les vérités du monothéisme et du christianisme. Louis Ménard demande aux Anciens un aliment pour sa foi républicaine. Dans sa thèse Du Polythéisme hellénique, il dégage, en 1863, la valeur démocratique de la religion païenne : l’ordre n’y découle pas du caprice d’un Dieu unique, monarque absolu, mais de l’autonomie des forces ; il est l’harmonie de la nature ; puis, des demi-dieux rattachent les patries terrestres à l’Olympe, et la religion grecque est la plus civique et la plus humaine qui soit ; chez les Grecs, enfin, point de sacerdoce ! Le paganisme de Ménard est républicain et anticlérical, mais, « mystique », il n’est pas antichrétien. Dans la préface de ses Poèmes, en 1855, l’éloge du polythéisme est suivi par une apologie du Christ et de la Vierge, qui contraste avec les blasphèmes proférés par Leconte de Lisle ; pour cette réconciliation, il suffit du symbolisme. Persuadé que « les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu’ils fussent éternels », Ménard reste, en même temps, attaché à la méthode de Creuzer ; toutes les religions, tous les mythes et tous les dieux sont vrais, symboliquement, et s’accordent dans leur succession. Le recueil se conclut par le poème du Panthéon, ce « temple idéal » qui
Renferme tous les dieux que le monde a connus.
« Sur l’autel, dit Henri Peyre (136), on voit un Dieu s’offrir en sacrifice : c’est Héraclès, c’est Prométhée, c’est le Christ ; peu importe lequel, car tous trois sont des hommes qui sont montés au ciel par la douleur » ; dans une chapelle, on vénère la Vierge ;
Puisque ton chaste sein conçut le dernier Dieu,
Règne auprès de ton fils, rayonnante, étoilée,
Les pieds sur la lune, au fond du ciel bleu.
Sans doute faut-il apercevoir ici l’influence de l’article sur Le Temple d’Isis, que Gérard de Nerval avait publié, en 1845, dans La Phalange, revue à laquelle Ménard collaborait, l’année suivante. Symbolisme, syncrétisme, culte de la déesse mère, Isis ou Marie, tout rapproche les deux écrivains ; Louis Ménard est un Gérard de Nerval sans génie et républicain. Il avait, toutefois, plus de talent en prose qu’en vers et Les Rêveries d’un païen mystique, publiées en 1876, ont été rééditées de nos jours ; puis, initiateur de Leconte de Lisle, il a aussi enseigné à Maurice Barrés la « mobilisation du divin », à travers les religions, les superstitions et les mythes, telle qu’elle est décrite vers la fin de La Grande pitié des églises de France.