Orphée : L ' Eurydice d ' Anouilh: eurydice anouilh analyse
De l’Orphée de Segalen qui triomphe de la matière, à la réconciliation avec elle-même de l’âme aux deux sexes, chez Pierre Emmanuel, la ligne, qui passe par Cocteau, est rompue avec l’Eurydice que Jean Anouilh fait jouer en 1942. Comme dans la pièce de Cocteau, le mythe est transposé dans les temps modernes, mais selon le misérabilisme propre à Anouilh. Le décor est, tour à tour, un buffet de gare et une chambre d’hôtel ; Orphée est un petit musicien ambulant, Eurydice une petite comédienne aux aventures minables. Ils deviennent amants, mais ne peuvent être heureux ; Eurydice pourrait tout recommencer avec Orphée, si elle lui confessait son passé ; elle ne l’ose par crainte de sa jalousie ; comment lui avouer sa liaison avec Dulac, le directeur de la troupe ? Elle s’enfuit et Orphée reçoit la visite d’un jeune homme, M. Henri, qui est l’ange de la mort ; il explique à Orphée qu’Eurydice et lui sont des êtres marqués par la fatalité ; certains sont faits pour la vie : ce sont ces « gens qu’on n’imagine pas morts » ; Orphée et Eurydice ne sont pas nés pour vivre. Une jeune actrice, puis Dulac viennent apprendre à Orphée qui était Eurydice ; ils la dépeignent sensuelle et intéressée ; disent-ils vrai ? On apprend sa mort, dans la collision du car de Toulon avec un camion-citerne. M. Henri, apitoyé, accorde une seconde chance aux amants ; Eurydice ressuscite, mais Orphée ne peut oublier les révélations et les calomnies de Dulac ; il s’emporte et, exprès, il regarde Eurydice ; il la tue par jalousie. Un dernier acte nous montre Orphée exhorté par son père à oublier Eurydice : il faut vivre ! Mais M. Henri révèle à Orphée que l’amour n’est possible que dans la mort, et Orphée le suit. On a reconnu la hantise de la pureté propre à Anouilh : vivre salit et c’est pourquoi la pièce est celle d’Eurydice, car c’est la femme que son passé marque et souille, aux yeux de l’homme, plus disposé à la jalousie rétrospective ; mais la virginité est toujours perdue ; la mort seule préserve; Traité ainsi, de façon originale, le mythe semble quelque peu appauvri ; des trois éléments qui le composent, l’Amour, la Mort, le Chant, le troisième manque : aussi bien le titre indique-t-il qu’il s’agit de l’histoire d’Eurydice, plus que de celle d’Orphée. Et, à coup sûr, de tous nos Orphée, celui d’Anouilh est le plus misérable.