La revue de presse : La réalisation
Les sources et la sélection de l’information
Nos enquêtes ont été réalisées en province. Loi de proximité oblige, rien d’étonnant à ce que les sources privilégiées soient alors les journaux de la presse quotidienne régionale (27 %), qui peuvent comporter plusieurs éditions. En moyenne, ce sont quatre à cinq publications régionales qui sont dépouillées. Et lorsque la presse quotidienne nationale est exploitée (17 %), Le Monde est souvent le journal de référence. Pour leur part, les hebdomadaires représentent 12 % du corpus. En fonction du secteur d’activité, les réalisateurs puisent aussi dans la presse spécialisée, ce qui explique la forte présence des revues mensuelles ou des magazines : 42 %. Cela étant, le nombre de quotidiens ou d’hebdomadaires nationaux dépend principalement des budgets alloués aux services de documentation. Mais le mouvement plus global de diversification des titres joue également : dans une administration, on est passé de l’exploitation de deux journaux en 1972 à près de soixante-dix aujourd’hui. Remarquons enfin que si le discours ambiant, tant politique qu’économique, comporte souvent les mots « Europe » ou « mondialisation », presse internationale demeure encore le parent pauvre : 2 % (on retrouve ici des entreprises multinationales ou des collectivités proches d’une frontière). Quelques organismes ont recours à d’autres ressources, certes de façon marginale mais qui n’en est pas moins intéressante. Par exemple, dans des services militaires ou préfectoraux, on utilise les dépêches de l’AFP qui arrivent sur un terminal. Le travail est donc très proche de celui d’un journaliste. Ailleurs, une revue de presse peut être la source… d’une autre revue de presse. En effet, dans de grandes entreprises qui diffusent des revues quotidiennes et hebdomadaires, on produit des sélections hebdomadaires pour des cadres, ou des services, qui n’ont pas été destinataires des documents initiaux. Autre cas de figure avec une pratique consistant à enrichir une revue de presse nationale. C’est-à-dire que les services régionaux la complètent avec des informations répondant à l’actualité de leur zone géographique. A charge pour les responsables locaux de cibler davantage les préoccupations des lecteurs et de compléter en conséquence. Cette démarche est donc fondée sur la recherche de la proximité maximale, sans négliger pour autant l’instance centrale. A cet égard, notons que dans des unités décentralisées de certaines entreprises, on envoie les revues de presse au siège pour information. Toujours parmi les opérations de retraitement des revues de presse, dans un conseil général, les revues de presse (quotidiennes et hebdomadaires) servent à confectionner une synthèse hebdomadaire pour le président et son cabinet. Sous forme de brèves, avec les références des articles à consulter, le lecteur y retrouve les principales informations et les « petites phrases » de la semaine, les événements importants de la vie locale. Mais tout ne se joue pas à partir de sources écrites : comme nous l’avons signalé, il existe aussi des revues audiovisuelles.
Ainsi, un service de préfecture réalise-t-il une revue à partir de sources télévisuelles et radiophoniques. Les heures de passage sont connues grâce aux relations entretenues avec les journalistes. Les sujets sont enregistrés et mis bout à bout. Cependant, ce type de revue de presse est contraignant au point que, faute de personnel suffisant, le suivi des passages à la télévision n’est pas toujours correctement assuré. Il est à noter que suivant l’importance de l’organisme, des radios ou des télévisions envoient parfois des cassettes enregistrées. Comme pour les revues de presse sur support papier, certains services réalisent des produits spéciaux à l’occasion d’un évènement (en particulier dans le cadre de la communication de crise).
Mais quels sont les principes de sélection des informations ? La proximité et la surveillance stratégique. D’une façon générale, les réalisateurs décident des contenus et de leur organisation. Quelle que soit la source, pour sélectionner les articles, ils privilégient encore une fois la proximité, dans tous les sens du terme. A titre d’exemple, voici ce que doit rechercher la chargée de la revue de presse d’un maire : les inaugurations ou manifestations auxquelles ce dernier a participé, les comptes rendus des conseils municipaux voisins, les activités des maires des communes proches, les affaires électorales, les activités du district, du conseil général et du conseil régional, tout ce qui peut l’aider à prendre une décision. A l’inverse, elle déclare avoir plus de difficultés à sélectionner les articles dans la presse nationale. Dans le service de presse d’une radio, la recherche et la sélection se fait, pour partie, en fonction des animateurs : chacun d’eux reçoit une pochette contenant les articles le concernant directement. Le choix de la proximité ne règle cependant pas toutes les questions.
Examinons de plus près les modalités et les critères de sélection les plus souvent évoquées dans les enquêtes. Les réalisateurs estiment qu’il faut bien connaître l’entreprise ou l’administration, ainsi que les partenaires ou concurrents. Pour reprendre le propos d’une documentaliste, cette connaissance « amène à repérer un article qui, a priori, n’a rien a voir du tout avec l’entreprise ». Semblable démarche est proche d’une forme de veille stratégique. En outre, la même documentaliste juge que cette sélection peut aussi se faire au feeling. Il en va assez souvent ainsi lorsque la revue de presse est destinée à un élu. Cependant, si la sélection est un acte fondamental, il en est un autre – plus rarement pratiqué – qui consiste à hiérarchiser les informations.
Quand ils s’estiment compétents, des réalisateurs ne se privent pas de mettre en valeur certaines informations et certains, peu nombreux, classent les articles par ordre décroissant d’importance. Ou bien, comme dans une entreprise sidérurgique, le réalisateur choisit l’article le plus intéressant de la livraison du jour, et il le fait figurer également au dos de la revue de presse. Ailleurs, en l’occurrence dans le service d’un préfet, on met les articles les plus fondamentaux dans la première pochette de la série pour qu’ils soient traités plus spécifiquement. A cet égard, il est patent que des articles peuvent avoir un contenu « explosif » (défaillance technique d’une entreprise, « affaire » à fort retentissement judiciaire, etc.). De plus, des organes de presse se sont spécialisés dans le scandale, le sensationnel ou bien encore dans l’information « dérangeante ». La sélection n’est alors pas sans poser des problèmes. En conséquence, des titres font l’objet d’une attention plus particulière : dans un ministère, Le Canard enchaîné est examiné à la loupe, y compris par le ministre. Néanmoins, la censure d’informations négatives ou critiques sur l’organisme est refusée par l’immense majorité des enquêtés, qui ont quand même, conscience du poids d’un autocontrôlé (comme le disait l’un d’eux, « chacun sait ce qu’il doit faire » et « connaît ses limites »). Des responsables de revues voient même un avantage à la diffusion de telles informations : « Quelque chose de négatif, on doit le corriger, pour rebondir », nous a déclaré l’un d’eux. Néanmoins, certains font parfois preuve de prudence quand des articles sur leur organisation sont très polémiques. Ils procèdent par exemple à une diffusion restreinte à quelques dirigeants particulièrement concernés, sous forme de copies annexées à la revue de presse. Ou bien dans une collectivité, la chargée de communication en parle d’abord au maire afin de décider de la diffusion. Dans de rares cas, il y a donc un contrôle hiérarchique de la production finale qui peut se conclure par une véritable censure, comme en témoignent les propos d’un responsable de communication d’un grand groupe… médiatique: «Les papiers qui donnent une image négative de l’entreprise sont écartés pour ne pas perturber le personnel ».
Vidéo : La revue de presse : La réalisation
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