L'étiologie de la guerre : Les facteurs historiques
La guerre fait l’histoire qui la fait.
Selon la thèse historiciste, la guerre n’est ni naturelle (issue d’un prétendu instinct agressif), ni artificielle (née du caprice d’un capitaine) ; elle est le produit de circonstances historiques déterminées. Telle fut l’une des grandes intuitions de Montesquieu qui, à rebours de Hobbes, écrivait : « Sitôt que les hommes sont en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; l’égalité qui était entre eux cesse et l’état de guerre commence ».
Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau défend une thèse analogue : dans l’état de nature d’avant l’histoire, l’homme mène une vie globalement paisible – c’est avec l’apparition de la propriété (le résultat d’une violence : l’acte d’appropriation), et la substitution de l’amour-propre à l’amour de soi que les guerres vont surgir. Dans un court texte intitulé « Que l’état de nature naît de l’état social », Rousseau admet que « dans les querelles sans arbitres qui peuvent s’élever dans l’état de nature, un homme irrité pourra quelquefois en tuer un autre, soit à force ouverte, soit par surprise », « qu’il peut y avoir des combats et des meurtres, mais jamais ou très rarement de longues inimitiés et des guerres ». L’homme sauvage peut être violent à l’occasion, il ne fait pas, à proprement parler, la guerre.
Une thèse semblable sera défendue par Marx : la lutte des classes qui est la guerre entre les propriétaires des moyens de production et ceux qui ne disposent que de leur force de travail commence avec la propriété privée, donc avec la fin du communisme primitif. Lorsque l’exploitation d’une classe par l’autre sera abolie, dit Marx, la guerre devrait cesser d’exister.
Bergson dira pareillement que « l’origine de la guerre est la propriété individuelle ou collective » mais il ajoute que puisque « l’humanité est prédestinée à la propriété par sa structure », « la guerre est naturelle».
Ces hypothèses ont été globalement confirmées par la paléontologie. Des récentes recherches tendent à prouver que jusqu’au néolithique (vers -10 000) l’homme de la Préhistoire n’a pas connu la guerre. La « guerre du feu » imaginée par Rosny Aîné est une fiction littéraire, pas une réalité historique.
Contre qui l’homme préhistorique aurait-il fait la guerre ? Certainement pas contre un ennemi cherchant à établir une hégémonie territoriale. Les espaces sont infinis, le gibier uniformément répandu. Les affrontements entre bandes, lorsqu’ils avaient lieu, ne dépassaient pas le niveau de la bagarre.
Vers -8 000, cet équilibre va petit à petit être rompu. Tout semble être parti de facteurs climatiques : avec le lent réchauffement de la Terre, une série de réactions en chaîne conduit aux premières guerres. Sur les sédiments amassés durant des millénaires au fond des vallées et abandonnés par les glaciers en recul général, des graminées et de l’herbe vont pousser, la chaleur aidant. Cette herbe neuve servira de nourriture à de nouvelles espèces herbivores, au premier rang desquelles le mouton, prolifique et facile à domestiquer.
L’élevage et l’agriculture remplacent petit à petit la chasse et la cueillette en divers points du globe. Plusieurs populations humaines quittent alors leurs habitudes de nomades : les premiers campements permanents constituent les embryons des premières villes. Pour la première fois depuis l’apparition d’Homos sapiens, on assiste à une accumulation de richesses (poteries, outils, vêtements…). Ce capital attire les pillards3 : avec la révolution du néolithique, les guerriers remplacent les chasseurs. En outre, c’est à cette époque qu’apparaît la première métallurgie capable de fabriquer des armes autrement plus meurtrières que les outils en bois et en os de l’âge précédent.
Ainsi l’universalité historique de la guerre n’impliquera-t-elle pas nécessairement une nécessité anthropologique. Les pacifistes qui rêvent à un dépassement de cette « histoire » (ou, pour dire comme Marx, de cette « préhistoire ») peuvent tirer de ce fait argument.