Le mythe dans le théâtre et le roman contemporains
Cet usage des mythes antiques prend fin, dirait-on, avec l’après-guerre. Les nouveaux dramaturges, Ionesco, Beckett, Adamov, n’y ont plus recours ; ils n’en demeurent pas moins libérés de la sujétion réaliste et fidèle à la stylisation qui suscite la réflexion. Mais nos dramaturges inventent leurs allégories, symboles ou mythes. Le chef-d’œuvre de Sartre, Huis Clos, vision moderne de l’enfer, constitue-t-il un mythe ? Ce serait aussi un mythe moderne, un peu trop allégorique, peut-être, que Rhinocéros d’Eugène Ionesco, ou encore Les Bâtisseurs d’Empire de Boris Vian. Plus sûrement, Samuel Beckett invente une mythologie à lui et, depuis 1953, En attendant Godot semble, de plus en plus, faire figure de mythe de notre temps.
Boris Vian, avec L’Écume des jours et ses autres romans, Robert Pinget, dans Graal Flibuste, créent des mondes merveilleux et, dans le second cas au moins, quasiment une mythologie originale. Le premier roman de Robbe-Grillet, Les Gommes, en 1953, sous son apparence prosaïque et objectale, dissimule un mythe que Bruce Morissette (150) a su déchiffrer, en filigrane d’une intrigue policière un peu floue ; il y décèle de nombreuses allusions au mythe d’Œdipe et c’est sans doute son père qu’abat, sans le savoir ni le vouloir, le détective Wallas. W.M. Frohock (144) relève semblablement maintes références au mythe de Thésée, dans L’Emploi du temps, publié par Michel Butor, au début de 1957 ; la ville de Bleston y figure le Labyrinthe. Dans La Modification qui, la même année, valut à son auteur le prix Renaudot, Michel Leiris (146) découvre un mythe de Rome ; le héros dont on nous parle à la seconde personne, est amoureux de Rome plus que de la maîtresse qu’il y rejoint ; mais la Ville est, aussi, devenue la femme et il est plusieurs Rome… Le voyage en chemin de fer, dont le récit constitue le roman, se transforme en aventure spirituelle, quête éternelle d’une Terre Promise qui se dérobe, cependant qu’un personnage légendaire, le Grand Veneur qui hante la forêt de Fontainebleau, pose les questions fondamentales : « Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Que cherchez-vous ? », etc. Ces écrivains, à la différence d’un Gide ou d’un Giraudoux, ne racontent pas le mythe et n’en proposent pas une interprétation nouvelle ; ils se contentent de le faire apparaître en filigrane. Mais pourquoi ? L’enquête que mène Œdipe, dans la tragédie de Sophocle, se retourne contre lui-même : le coupable était l’enquêteur ; au terme de ses déambulations circulaires – il tourne en rond – l’enquêteur des Gommes abat… la victime supposée du crime, ce Dupont qui est, sans doute, son père ; le mythe d’Œdipe dévoilerait ainsi l’essence même de l’enquête : à un certain niveau profond, le coupable et la victime se confondent et c’est toujours lui-même qu’au bout du compte, vise l’enquêteur… L’homme entre deux femmes, deux âges et deux villes de La Modification serait le type même de celui qui cherche, mais, au cours et du fait du voyage, le chercheur et l’objet de la recherche se modifient, et la quête n’aboutit jamais. Qu’ils fassent la guerre ou l’amour, les personnages du roman de Claude Simon, La Route des Flandres, ne se distinguent pas des animaux, en particulier des chevaux, et toute humanité, dans ce récit, devient chevaline ; en même temps, les allusions au Christ se multiplient, comme si les passions pénibles et lamentables des hommes se ramassaient en une seule Passion. Le mythe exerce toujours sa fonction d’archétype et, dans la mesure où le nouveau roman supprime l’anecdote (l’intrigue comme anecdote), pour dégager la structure même du récit, il semble que la structure romanesque pure tend à se confondre avec la structure mythique : tout récit est mythe ; le mythe est la limite idéale vers laquelle tend tout récit. Toute œuvre littéraire aussi, peut-être ? Certains critiques contemporains, nous le verrons pour finir, n’hésitent pas à l’affirmer.
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