Vers la paix mondiale
Isaïe annonçait que dans l’avenir les peuples transformeront leurs épées en houes et leurs lances en faux. Les temps contemporains ne semblent pas avoir confirmé cette prophétie. Le XIXe siècle avait connu 25 années de paix, le XXL‘ siècle en aura connu seulement deux, toutes deux situées avant 1914. Autrement dit, le monde n’aura pas joui d’une seule journée de paix depuis 1914 : la plupart du temps même, plusieurs guerres se déroulent simultanément et lorsqu’un incendie s’éteint. ici, un autre s’allume ou se rallume là. Nietzsche avait donc raison contre Victor Hugo : le XXe siècle a été le siècle de la guerre.
Il y a dans le monde d’aujourd’hui dix fois plus de soldats que de médecins – donc dix fois plus de gens qui tuent que de gens qui sauvent. L’argent consacré aux armes dépasse de beaucoup celui consacré à l’éducation et à la culture. Dans un chapitre de son livre sur la guerre, Gaston Bouthoul écrivait que « le propre des sociétés humaines est qu’elles s’attendent toujours à la guerre». Ce diagnostic réaliste est de 1953. La question à présent est de savoir s’il est toujours vrai au début du XXIe siècle.
L’époque actuelle aura connu parallèlement à la « course aux armements » une véritable politique de désarmement
médiatiquement beaucoup plus discrète. Or l’idée de désarmement s’oppose frontalement à l’antique adage (si tu veux la paix, prépare la guerre) : si tu veux la paix, prépare la paix. En 1985, les deux superpuissances rivales, sinon ennemies, possédaient l’équivalent de 500 000 bombes d’Hiroshima. Entre 1985 et 2002, l’effectif mondial de chars, de pièces d’artillerie, d’avions de combat, et de navires de guerre a été réduit d’un quart. Les stocks de têtes nucléaires ont diminué des deux- tiers, les dépenses militaires d’un tiers, les exportations d’armes de plus de la moitié, le nombre de soldats de plus du quart, enfin les effectifs dans l’industrie de l’armement ont baissé de plus de la moitié. Au début des années 1960, on pensait que le nombre de pays détenteurs de l’arme atomique pourrait rapidement atteindre la trentaine. On en est aujourd’hui, en 2006. à moins de dix. La prolifération nucléaire semble donc contenue, le traité de non-prolifération paraît avoir été efficace.
Leibniz faisait remarquer que le mal a une plus grande visibilité que le bien – d’où l’illusion que nous avons d’un monde voué au pire. Le culte de l’accident et de la catastrophe entretenu par les médias modernes renforce cette illusion : nous savons qu’une guerre éclate lorsqu’elle éclate, nous savons qu’elle se continue, mais nous ignorons presque toujours si et quand elle se termine. Durant la période de la guerre froide, plus du tiers des pays dans le monde avaient été affectés par une guerre civile à un moment ou à un autre. Or, il y a eu davantage de conflits civils résolus par la négociation ces quinze dernières années que durant les deux siècles précédents. Alors qu’entre 1946 et 1991, le nombre de confrontations armées avait triplé, il a baissé de près de moitié depuis lors. La diminution du nombre de conflits armés depuis la fin de la guerre froide peut être mise au compte des opérations multilatérales de pacification dont le nombre a spectaculairement augmenté. De plus, les victimes de ces guerres tendent à être moins nombreuses : près de 40 000 morts en moyenne en 1950, 600 en 2002. Cela dit, il restait tout de même 60 conflits armés en 2005 (la quasi-totalité sont des guerres civiles). Mais désormais le pacifisme a gagné une bonne partie de l’opinion publique mondiale. Dans un discours prononcé devant les étudiants de Harvard, en 1978, Alexandre Soljénitsyne constatait la disparition du courage dans les sociétés occidentales. Le pacifisme en effet n’est pas dépourvu d’équivoque: il pourrait être le symptôme d’un effondrement de la volonté de puissance, au sens nietzschéen du terme. De fait, la paix entretient une connivence certaine avec la mort (des défunts, on disait et on souhaitait qu’ils reposent en paix). Dans ses Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Patocka soutenait que le seul qui puisse vouloir, avec authenticité, la paix, est celui dont l’horizon a été occulté par l’horreur de la guerre et qui a connu le paroxysme du front. Tel est, en effet, le cas du peuple allemand et du peuple japonais après 1945. Mais que peut signifier « vouloir la paix » pour des générations qui n’ont jamais connu, sinon par images télévisées et cinématographiques .
Il y a dans le monde d’aujourd’hui dix fois plus de soldats que de médecins – donc dix fois plus de gens qui tuent que de gens qui sauvent. L’argent consacré aux armes dépasse de beaucoup celui consacré à l’éducation et à la culture. Dans un chapitre de son livre sur la guerre, Gaston Bouthoul écrivait que « le propre des sociétés humaines est qu’elles s’attendent toujours à la guerre». Ce diagnostic réaliste est de 1953. La question à présent est de savoir s’il est toujours vrai au début du XXIe siècle.
L’époque actuelle aura connu parallèlement à la « course aux armements » une véritable politique de désarmement
médiatiquement beaucoup plus discrète. Or l’idée de désarmement s’oppose frontalement à l’antique adage (si tu veux la paix, prépare la guerre) : si tu veux la paix, prépare la paix. En 1985, les deux superpuissances rivales, sinon ennemies, possédaient l’équivalent de 500 000 bombes d’Hiroshima. Entre 1985 et 2002, l’effectif mondial de chars, de pièces d’artillerie, d’avions de combat, et de navires de guerre a été réduit d’un quart. Les stocks de têtes nucléaires ont diminué des deux- tiers, les dépenses militaires d’un tiers, les exportations d’armes de plus de la moitié, le nombre de soldats de plus du quart, enfin les effectifs dans l’industrie de l’armement ont baissé de plus de la moitié. Au début des années 1960, on pensait que le nombre de pays détenteurs de l’arme atomique pourrait rapidement atteindre la trentaine. On en est aujourd’hui, en 2006. à moins de dix. La prolifération nucléaire semble donc contenue, le traité de non-prolifération paraît avoir été efficace.
Leibniz faisait remarquer que le mal a une plus grande visibilité que le bien – d’où l’illusion que nous avons d’un monde voué au pire. Le culte de l’accident et de la catastrophe entretenu par les médias modernes renforce cette illusion : nous savons qu’une guerre éclate lorsqu’elle éclate, nous savons qu’elle se continue, mais nous ignorons presque toujours si et quand elle se termine. Durant la période de la guerre froide, plus du tiers des pays dans le monde avaient été affectés par une guerre civile à un moment ou à un autre. Or, il y a eu davantage de conflits civils résolus par la négociation ces quinze dernières années que durant les deux siècles précédents. Alors qu’entre 1946 et 1991, le nombre de confrontations armées avait triplé, il a baissé de près de moitié depuis lors. La diminution du nombre de conflits armés depuis la fin de la guerre froide peut être mise au compte des opérations multilatérales de pacification dont le nombre a spectaculairement augmenté. De plus, les victimes de ces guerres tendent à être moins nombreuses : près de 40 000 morts en moyenne en 1950, 600 en 2002. Cela dit, il restait tout de même 60 conflits armés en 2005 (la quasi-totalité sont des guerres civiles). Mais désormais le pacifisme a gagné une bonne partie de l’opinion publique mondiale. Dans un discours prononcé devant les étudiants de Harvard, en 1978, Alexandre Soljénitsyne constatait la disparition du courage dans les sociétés occidentales. Le pacifisme en effet n’est pas dépourvu d’équivoque: il pourrait être le symptôme d’un effondrement de la volonté de puissance, au sens nietzschéen du terme. De fait, la paix entretient une connivence certaine avec la mort (des défunts, on disait et on souhaitait qu’ils reposent en paix). Dans ses Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Patocka soutenait que le seul qui puisse vouloir, avec authenticité, la paix, est celui dont l’horizon a été occulté par l’horreur de la guerre et qui a connu le paroxysme du front. Tel est, en effet, le cas du peuple allemand et du peuple japonais après 1945. Mais que peut signifier « vouloir la paix » pour des générations qui n’ont jamais connu, sinon par images télévisées et cinématographiques .