Grandeur et décadence de la mythologie
Quand le Roi Très-Chrétien franchit le Rhin à la tête de ses armées, les « naïades craintives » fuient à son aspect. Boileau comme Malherbe, les poètes comme les artistes ne connaissent que les divinités de la fable quand il s’agit de célébrer la gloire des Bourbons. « Deux arts », comme l’écrit P.V. Delaporte (88), « deux littératures » coexistent : Le Sueur peint la vie de saint Bruno et la Galerie d’Apollon, Fénelon écrit les Maximes des saints et le Télémaque. Partout présente, la mythologie perd, cependant, sa verdeur du siècle précédent ; purement ornementales, ses fictions ne constituent plus qu’un langage traditionnel, conventionnel, bientôt usé. La double rigueur cartésienne et janséniste interdisait toute connivence avec l’esprit du polythéisme. Le christianisme sévit contre les fables jusque chez les érudits. Avec les protestants Samuel Bochart et Gérard Vossius, la théorie du « plagiat » s’impose (24) : les Grecs ont emprunté leurs dieux et leurs mythes à l’Ancien Testament, mal compris et falsifié ; l’évêque d’Avranches, Huet, donne sa pleine ampleur à cette doctrine dans sa Demonstratio evantjelica, en 1679 : tous les dieux païens y sont des figures déformées du seul Moïse. Chacun à sa façon, La Fontaine et Racine sauront pourtant, nous le verrons, faire revivre les divinités antiques ; à sa manière aussi, Fénelon n’a pas laissé de vivifier une mythologie, de couleurs assez fades, par le sens chrétien que suggèrent certains épisodes du Télémaque, comme ce beau triomphe d’Amphitrite qui figure, pense-t-on, la victoire de la Grâce. Au demeurant, était-il si éloigné de la mentalité mythologique, ce siècle qui, dans le vaste décor païen de Versailles, célèbre le culte du Roi-Soleil ? L’ode, qu’il s’agisse de Henri IV ou de Maurice de Nassau, ne transforme pas le chef de guerre en héros moins miraculeux que ne le font, dans Le Cid, Corneille, et, dans leurs romans follement romanesques, Madeleine de Scudéry, avec Cyrus, ou La Calprenède, avec Faramond ; mais quoi ! ce sont les mêmes traits surhumains et la même puissance surnaturelle que Bossuet, dans son Oraison funèbre, a prêtés au grand Condé ( 92). Aussi bien, dans cette civilisation aristocratique, le monarque et les Grands sont-ils effectivement considérés comme des êtres d’élection, prêts à devenir des personnages, en quelque mesure, mythiques. Enfin, la période baroque par laquelle commence le siècle a heureusement imprimé sa marque originale sur la vieille mythologie.