L'étiologie de la guerre : Les facteurs démographiques
Dans Les Deux sources de la morale et de la religion, Bergson fait du surpeuplement le facteur de guerre le plus grave : « La mythologie antique l’avait bien compris quand elle associait la déesse de l’amour au dieu des combats. Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars ». Ce type d’explication malthusienne de la guerre par la démographie, et spécialement par le surpeuplement, a eu une fortune considérable au XX(i siècle. Elle met au jour une causalité qui semble induite par son évidence même :lorsqu’il y a un trop-plein de population sur un territoire donné, il se déverse sur les territoires voisins. De même que le vent souffle des zones de haute aux zones de basse pression, les peuples plus forts numériquement vont agresser des peuples moins nombreux : les invasions ont ainsi été expliquées par cette mécanique qui articule facteur démographique et facteur économique (rareté des ressources disponibles d’un côté, plus grande facilité de vie de l’autre). On a rendu compte des croisades par des causes démographiques (l’Europe trouvant par ce biais le moyen de se débarrasser de son surplus de miséreux). Les guerres de la Révolution et de l’Empire ont pareillement été expliquées par le considérable écart démographique entre la France et ses voisins. De même, l’agressivité de l’Allemagne du second et du troisième Reich a été rapportée à une population à la fois jeune et nombreuse. Actuellement, les pays qui sont déchirés par les guerres et les violences à la fois les plus longues et les plus dures (Afrique, Moyen-Orient, Afghanistan…) sont aussi ceux où la croissance démographique est la plus forte.
Seulement, la densité et l’abondance d’une population ne sauraient à elles seules expliquer la guerre. On ne voit pas le Bangladesh surpeuplé faire la guerre à la Birmanie limitrophe relativement peu peuplée, inversement, la Libye, sous-peuplée, s’est manifestée par une agressivité particulière. Le caractère pacifique ou belliqueux d’un Etat n’est pas indexé sur la densité de sa population.
Cela dit, il est juste de préciser que la cause démographique d’une guerre ne joue pas seulement pour expliquer l’agression du grand nombre : bien des guerres primitives et antiques (l’épisode de l’enlèvement des Sabines est devenu légendaire en Europe) ont eu pour motif la capture des femmes de l’ennemi. En ce cas, c’est la rareté, voire la crainte de la rareté qui peut pousser à la guerre.
Dans le cadre des explications démographiques, c’est la théorie de la guerre-saignée qui paraît la moins bien fondée. Entre tant d’autres, Montaigne comparait la guerre à une saignée : à l’époque, on croyait, en effet, que l’homme pouvait souffrir d’une .surabondance de santé – et donc qu’il convenait de le débarrasser d’un excès de sang… Fichte justifiait la guerre par des arguments populationnels : la guerre selon lui prévient la proliféra- I ion de l’espèce humaine…
Plus sérieuse est la thèse qui prend en compte l’âge moyen d’une population. Une population vieillissante a tendance à être moins agressive qu’une population jeune : la guerre, en effet, n’est pas une occupation de retraités…