Le sens de la guerre : La science biologique du XIXe siècle
La science biologique du XIXe siècle va donner à la guerre une justification dont se serviront les idéologies les plus brutales. Selon le darwinisme social le plus impitoyable, la guerre est un cas particulier de la sélection naturelle ; elle permet de faire la hiérarchie entre les peuples forts promis à la survie et les peuples faibles voués à l’extinction. Hitler se fait l’écho d’une telle théorie dans Mein Kampf avant de l’appliquer dans son action. Le XXe siècle connaîtra une réelle intensification de la barbarie guerrière : les massacres de masse seront justifiés comme des actes de guerre – si bien que, renversement inouï par rapport à la problématique classique, c’est la guerre elle- même qui finit par justifier les crimes de masse ! C’est bien ainsi que Hitler concevait sa politique d’extermination raciste : comme une guerre. La « solution finale » était dans son esprit une guerre faite contre les Juifs, les ennemis de toujours.
Le droit pénal international moderne rejettera l’idée que la guerre puisse être une prérogative absolue des États. Le procès de Nuremberg n’admettra pas l’idée que la déclaration de guerre d’un État agresseur pût protéger de toute poursuite judiciaire les agents de cet État. Le contrepoids des droits de l’homme a exercé dans ce domaine une réelle influence : les ministères de la guerre ne s’appellent plus ainsi et aucun ministère ne s’est intitulé « ministère de l’attaque ». Tous les ministères qui s’occupent de la guerre et des armées s’appellent désormais « ministère de la défense ». Hommage que le vice rend à la vertu : aucun chef d’Etat aujourd’hui, aussi despotique et sanguinaire fût-il, ne pourrait tenir le discours de Gengis Khan. Mais cela n’a pas entravé la réflexion et les efforts de justification, même pour la guerre extrême.
C’est ainsi que la guerre totale, rendue possible par l’armement nucléaire, a pu être justifiée grâce à l’argument suivant : plus la guerre sera terrible, et plus les hommes seront dissuadés de la faire. Dans le contexte nucléaire, la légitime défense devient problématique, voire impossible. Avec l’arme atomique, attendre l’agression est exclu. Mais une guerre préventive est tout autant inenvisageable — car l’autre camp serait lui aussi fondé à se prémunir contre cette guerre… Le tourniquet est sans fin : l’ennemi peut attaquer pour empêcher une attaque destinée à empêcher une attaque… Durant la guerre froide, les Soviétiques distinguaient les attaques préventives et préemptives, les premières consistant à déclencher une guerre pour n’être pas surpris par une agression adverse, les secondes se contentant de devancer l’ennemi qui s’apprête à engager les hostilités. Les Soviétiques avaient solennellement déclaré renoncer à déclencher une guerre préventive ; ils admettaient en revanche la légitimité de la guerre préemptive. A ceux qui objectaient que la guerre préemptive pourrait n’être que l’autre nom d’une guerre d’agression, ses défenseurs répliquaient que le déclenchement des hostilités est toujours précédé par une crise diplomatique prolongée et par des préparatifs militaires qui constituent autant de signaux d’alerte. Cette doctrine de la guerre préemptive a été reprise par les responsables américains dans leur doctrine de la quatrième guerre mondiale contre l’hyperterrorisme Elle repose sur l’idée qu’en certains cas extrêmes (l’attaque terroriste étant assimilée à une attaque nucléaire car si elle a un pouvoir bien moindre de destruction, elle peut surgir inopinément en dehors de tout contexte de tension) – la riposte serait par défini- l ion déjà de fait trop tardive.