La guérilla
La guérilla est apparue en Espagne contre Napoléon. Elle est contemporaine de l’éveil des nationalités contre l’impérialisme et le nationalisme modernes. Guerre de harcèlement menée par des partisans ou des révolutionnaires, agissant seuls ou en petites troupes contre les autorités en place ou la puissance occupante, la guérilla est née de l’inégalité entre les deux forces en présence qui interdit aux partisans et révolutionnaires d(‘ risquer une bataille frontale et les oblige à la mobilité permanente. La guérilla est la guerre que le faible oppose au fort.
Avant les résistants espagnols contre les envahisseurs français, l’Histoire a gardé mémoire de ces combattants imprévisibles qui ont souvent su faire échec aux puissances les plus solides. Des bandits du roman-fleuve chinois Au bord de l’eau aux cangaceiros brésiliens en passant par Robin des bois, Cartouche, Jean Chouan et Fra Diavolo, nombre d’anonymes ont fini par devenir des héros de légende. Et s’il est vrai que la défaite et la mort de la plupart d’entre eux n’ont pas peu contribué à faire leur aura, beaucoup furent victorieux : le fondateur de la dynastie Ming, dans la Chine du XIVe siècle, parvint à chasser les Mongols, Shivaji en Inde (XVIIe siècle) tint les envahisseurs musulmans en échec.
La tradition romaine de l’armée régulière, l’usage du mercenariat et l’esprit de chevalerie se conjuguèrent en Occident pour écarter la guérilla comme le mode pratique de la guerre. Pourtant, Bayard et Du Guesclin furent bien des guérilleros avant l’heure et les corsaires menèrent une véritable guérilla des mers.
La guérilla n’a pas pour objectif d’écraser l’ennemi (quand bien même elle le voudrait, elle ne le pourrait pas), elle cherche à l’épuiser. « L’ennemi avance, nous reculons ; l’ennemi s’arrête, nous le harcelons ; l’ennemi est harassé, nous le frappons ; l’ennemi recule, nous le pourchassons » disait le général Vo Nguyen Giap après Mao Tsé Toung. Ne pouvant éliminer un ennemi plus fort qu’elle, la guérilla vise à l’exténuer. Esquivant le front de la bataille qui lui serait fatale, elle dilue à l’extrême les dimensions de l’espace et du temps : alors que la bataille classique est brève (comme dans la tragédie classique, la journée est son unité de temps) et locale (d’où l’expression de champ de bataille), la guérilla peut surgir de partout à tout moment, l’effet de surprise surcompensant la faiblesse technique et numérique. La guerre populaire est quelque chose de fluide et de vaporeux, disait Clausewitz, elle ne doit jamais se condenser en un corps solide. On chiffre généralement à 10 contre 1, voire à 30 contre 1 la proportion de réguliers nécessaires pour obtenir la supériorité sur des guérilleros.
Sans bataille, immobiliser l’ennemi — tel est le plus important principe de l’art de la guerre, selon Sun Tzu. Là encore, le facteur spatial s’avère déterminant. La guerre classique aime les terrains découverts : la plupart des grandes batailles de l’histoire ont eu lieu dans des plaines. La guérilla, quant à elle, privilégie le marécage et la forêt, parce que pour elle se cacher est une nécessité. Sun Tzu préconisait l’action sur les arrières de l’ennemi, pour le désorganiser. La guerre de partisans se mène sur les arrières des corps de bataille ou en l’absence de ceux-ci. Cette guerre du faible contre le fort peut être aussi forte que lui, voire davantage .