La souffrance originaire
Lé récit, sans doute, fait partie des réponses que l’esprit peut opposer au mal, mais ce dernier met d’abord en question notre aptitude à surmonter par son moyen l’atomisation du monde et de nos vies. Les ressources sémantiques qu’il offre à l’homme qui a souffert, sont généralement refusées à l’homme qui souffre. L’intelligence narrative, il faut le répéter, n’est pas moins mise en échec par la souffrance actuellement vécue, que ne l’est l’intelligence spéculative. Dans le vif de l’instant ou il surgit et où il retient l’existence et la pensée captives, le mal est l’inénarrable, c’est pourquoi une méthode soucieuse de retourner « aux choses mêmes » devra renoncer ici autant à interpréter qu’à justifier. Elle devra ignorer provisoirement la différence, qui pourtant n’est pas mince, entre donner sens et fonder en raison.
Ce vœu de pauvreté caractérise la réduction phénoménologique, comprise comme la réduction des multiples significations du « mal »à l’unité de la souffrance. Une telle réduction n’est nullement le produit d’une décision arbitraire. C’est la souffrance elle-même qui suspend l’évidence plurielle du monde historique et les discours qui organisent. Elle défait les multiples appartenances qui assurent la construction de l’identité personnelle et ne laisse subsister, pour ainsi dire, qu’une existence nue. En témoigne précisément l’altération qu’elle entraîne dans la temporalité entendue comme la forme générale tic la vie tic la personne humaine.l’atomisation du monde