L'évolution de la guerre : La guerre à l'ère des NTIC
Dans Vers l’armée de métier, écrit en 1934, Charles de Gaulle prévoyait la substitution des armées professionnelles aux armées nationales par la force des progrès techniques. Il existe aujourd’hui aux États-Unis une école doctrinale dite de la « révolution dans les affaires militaires » (RMA). Jadis la guerre mettait en jeu des corps ; elle met aujourd’hui surtout en place des machines.
On appelle logistique la partie de l’art militaire s’occupant de l’ensemble des conditions matérielles (transports, logement, nourriture, etc.) qui permettent à une armée de combattre le plus efficacement possible. La complexité croissante de l’armement moderne tend à donner à la logistique une importance de plus en plus grande.
Traditionnellement, on distinguait les armes de destruction (la poudre, les canons, les bombes…) et les armes d’obstruction (les remparts, les cuirasses…). Aujourd’hui, une troisième catégorie d’armes est apparue : les armes de communication et d’information. La propagande, les espions en font partie et pas seulement les réseaux techniques. « Tout l’art de la guerre est fondé sur l’art de duper », disait Mao après Sun Tzu. Voir sans être vu , se cacher et surgir inopinément, par surprise — cette tactique s’avère bien souvent gagnante. Avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), ses moyens sont décuplés.
La guerre froide déjà s’était exprimée de façon nouvelle par une guerre des ondes (l’expression date de cette époque). Il n’y a plus de guerre sans propagande , donc sans désinformation. Certains pensent qu’aujourd’hui, avec la globalisation de l’information, les armes de communication ont supplanté les armes de dissuasion militaire.
Le nucléaire transforme de fond en comble la stratégie : la prospective se substitue à la connaissance de l’histoire qui ne peut plus donner aucune leçon. Auparavant, la puissance de feu, la protection et la mobilité étaient antagonistes : pour se protéger, il fallait s’alourdir et donc perdre de la mobilité. Pour la première fois, les trois fonctions essentielles de l’art militaire sont désormais réunies dans les mêmes systèmes d’armes. Le choc, le feu et la mobilité ne sont plus antagonistes.
Les techniques de renseignement et de transmission font entrer la guerre dans la quatrième dimension — celle du temps. Avec l’ordinateur, le temps implose et l’espace explose. Les Américains parlent de network-centric warfare – d’opérations en réseau. La guerre moderne tend à être une guerre sans bataille. Invoquant ses souvenirs personnels (il a combattu dans les rangs de l’armée russe contre Napoléon), Clausewitz fait observer à propos de la bataille : « On se croirait presque au spectacle ». Cette spectacularisation de la guerre s’est trouvée renforcée avec les moyens informatiques. C’est cette virtualisation de la guerre qui a permis à Jean Baudrillard de soutenir, en 1991, le paradoxe que « la guerre du Golfe n’a pas eu lieu ». Il utilisa à son propos l’expression de « guerre morte » — troisième phase de la guerre après la guerre chaude classique et la guerre froide.
Les sociétés démocratiques contemporaines répugnent à exposer la vie de leurs soldats. De plus en plus, la mort de l’un d’entre eux est vécue comme un accident inacceptable ou comme un assassinat. Mais l’humanisation de la guerre passe contradictoirement par son in humanisation technique. Le robot-guerrier est au centre de nombreuses recherches actuelles : il aurait l’avantage sur le soldat d’être indifférent au stress et à la fatigue ; il pourrait atteindre une cible sans faire de dommages collatéraux et sa perte ne coûterait que de l’argent. Cela impliquerait aussi, perspective plus inquiétante, que ces machines jouiraient d’une autonomie presque totale – d’où la fiction des robots qui finiraient par échapper à leurs concepteurs…
Par ailleurs, dans le cadre de ces technologies du futur, l’adversaire tend à être criminalisé. La notion de défense glisse insidieusement vers celle de sécurité. Dans la sécurité, il existe une dissymétrie morale fondamentale : le policier et le malfaiteur ne peuvent pas être mis sur le même plan. Or, cette dissymétrie n’existe pas dans la tradition militaire où l’on fait la guerre sans haine et, sinon dans le respect de l’adversaire, du moins dans un état d’indifférence affective à son endroit.