L'étiologie de la guerre : Les facteurs psychologiques
Dans Mars ou la guerre jugée, où il exprimait son radical pacifisme, Alain conteste l’idée selon laquelle les intérêts seraient la cause principale des guerres : les intérêts transigent toujours, écrit-il, les passions ne transigent jamais.
Les hommes ont passionnément aimé la guerre. On rapporte de Gengis Khan les paroles suivantes : « Le plus grand bonheur de l’homme est de poursuivre et de vaincre son ennemi, de s’emparer de tous ses biens, de laisser ses épouses gémissantes et en pleurs, de monter son cheval et d’user le corps de ses femmes comme d’un vêtement de nuit et d’un support ». Certes, on pourrait interpréter ce témoignage comme le signe d’une personnalité névrotique d’exception et c’est bien ainsi qu’on l’a entendu à partir du siècle des Lumières : en son fond, l’être humain ne veut pas la guerre, il y est entraîné par des capitaines assoiffés de gloire et de sang. La guerre, écrit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, « nous vient de l’imagination de 3 ou 400 personnes répandues sur la surface de ce globe sous le nom de princes ou de ministres». On dira, au XIXe siècle, que les rois mènent leurs peuples dans des guerres dont ils ne veulent pas. Tel était aussi le sentiment de Kant : le peuple en son fond ne veut pas la guerre et le philosophe allemand croyait comme Rousseau que la volonté générale ne peut errer. C’était oublier la possibilité d’un bellicisme réellement populaire, dont l’histoire contemporaine nous a donné, à plusieurs reprises, le catastrophique exemple.
Si l’on considère la liste des sept péchés capitaux telle qu’elle a été fixée au Moyen Age par les théologiens, on s’aperçoit que chacun d’eux constitue un motif ou une cause de guerre : l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie, la gourmandise, la colère et la paresse. Mais Hobbes a été le premier philosophe à avoir assigné des causes psychologiques à la guerre – preuve, entre cent, que la qualification de « matérialiste » qui lui fut si souvent accordée est particulièrement inadéquate.
La rivalité est la première de ces causes dégagées par Hobbes : dans une situation d’égalité naturelle , la volonté d’acquérir un quelconque profit dresse les hommes les uns contre les autres .
La méfiance est la deuxième de ces causes. Elle a pour finalité la sécurité (protéger ce qui a été acquis).
La « gloire » est la troisième cause. Sous ce terme de « glory », Hobbes englobe l’honneur et la fierté, l’estime de soi et l’identification au groupe. Ces « bagatelles » que sont un mot, un sourire, une opinion peuvent déclencher des querelles sanglantes , fait observer le philosophe anglais.
La vengeance doit être considérée comme un cas particulier de rivalité. Nietzsche disait d’elle qu’elle est une maladie de la mémoire. La guerre qu’Alexandre porte en Asie visait à laver l’affront de l’invasion perse qui avait eu lieu un siècle et demi auparavant. Les guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie ont été alimentées par des ressentiments historiques dont certains remontaient au Moyen Age.
Le « complexe de Damoclès » dont parle Gaston Bouthoul est l’expression de la « méfiance » mise par Hobbes au rang de passion génératrice de guerre. Comment, par exemple, l’armement de la puissance voisine, rivale avant d’être ennemie, pour- rait-elle ne pas être comprise comme une provocation, c’est-à- dire un motif de guerre ? Le sentiment d’insécurité (lui-même dû à un complexe d’infériorité) se décharge et se libère volontiers en agressivité. Par le mécanisme projectif du bouc émissaire, cette agressivité s’investit sur l’autre, l’étranger, l’ennemi. Par projection, l’agresseur reporte sur l’agressé sa propre agressivité : il s’est convaincu lui-même que s’il n’attaque pas, l’autre l’attaquera. L’épouvantable fantasme dans lequel les génocidaires se trouvent pris est que s’ils n’exterminent pas leurs supposés ennemis, c’est eux qui seront exterminés.