les guerres nationales modernes
Les guerres nationales modernes vont donner existence à une valeur nouvelle qui infléchira la thématique apologétique de la guerre. C’est au cours du XIXe siècle, avec la conscription obligatoire, que l’idée de fraternité, d’origine politique, prend un sens spécifique. Elle élargit jusqu’aux dimensions du peuple, en passant par la chambrée, la caserne, la compagnie, le thème antique de l’amitié des guerriers dont Achille et Patrocle, les héros de l’Iliade, avaient été les modèles. Sans doute est-ce à cause de cette militarisation que la valeur de fraternité, que les républicains de 1848 avaient tenu à ajouter à celles de liberté et d’égalité, trop abstraites et individualistes à leurs yeux, a fini par disparaître de notre champ social et politique. La fraternité des armes ou du combat allait même au-delà de l’appartenance nationale puisque, une fois la paix revenue, elle pouvait unir par une multitude de liens affectifs invisibles les ennemis de naguère.
La guerre moderne a également connu la métamorphose de la valeur du sacrifice. Le sacrifice, répétons-le, était une action proprement sacrée. En Inde, le combat était un grand rite, l’occasion pour le guerrier du plus noble dévouement, dans lequel il ne pouvait s’engager sans une préparation particulière. Ce n’est pas tant le courage qui faisait le héros que sa dimension sacrificielle. Le héros, dont l’âge fait la transition entre celui des dieux et celui des hommes dans la tripartition de Gianbattista Vico, est un homme qui vainc par sa défaite et vit par sa mort. Ainsi en va-t-il de Roland, le premier héros français.
Les armes à feu signèrent l’arrêt de mort de la chevalerie. Point n’est besoin de vaillance pour tuer un homme à distance. Aussi le sacrifice changea-t-il de contenu. La patrie remplace les valeurs transcendantes – ou plutôt, elle représente désormais l’idéal de transcendance. Là encore, le trouble désir de mort fait planer son ombre. Alors que dans les sociétés modernes le culte des morts avait tendance à refluer, il est réapparu à la faveur des guerres et a peut-être fini par remplacer le traditionnel culte des saints. Qu’aime-t-on finalement dans le sacrifice du soldat ? Ne préfère-t-on pas, tout compte fait, sa mort individuelle au salut de la patrie ? « Pas de plus belle mort au monde ! », chantaient des soldats allemands de la Première Guerre mondiale. A l’époque moderne, Moloch ne se cache plus dans l’obscurité des temples .