Le sends e la guerre : Les habitants de l'Utopie de Thomas More
Les habitants de l’Utopie de Thomas More sont foncièrement pacifistes ; pour eux, la guerre est une abomination et il n’est rien de plus méprisable que la gloire des champs de bataille. Ils consentent toutefois à la guerre dans trois occasions précises : lorsqu’ils sont attaqués, lorsqu’une nation amie est envahie, et pour délivrer de la servitude un peuple opprimé.
Avec le processus d’individualisation des mœurs et des esprits, à partir de la Renaissance qui substituait les droits de la personne humaine à la loi divine, l’instigation de la guerre par la légitime défense prit une importance croissante. Mais ce qui fit le plus débat, du moins en Espagne, fut la question de la légitimité de la conquête du Nouveau Monde. Tant que les chrétiens luttaient contre les Sarrasins, les théologiens pouvaient à la rigueur voir en ces derniers des coupables usurpateurs du tombeau du Christ, envahisseurs, etc. Mais de quel droit les pauvres Indiens d’Amérique pouvaient-ils devenir esclaves ? C’est alors que la doctrine de la guerre juste va déplacer l’accent de la charité à la justice. N’est-il pas juste, par exemple, qu’un peuple fort et habile soumette à son autorité un peuple faible, et incapable d’exploiter les richesses de son sol ? La question de la guerre juste, au tournant de la Renaissance et des temps modernes, va passer des théologiens aux philosophes du droit naturel.
Aucun droit positif ne peut interdire la défense de ce qui a été accordé par droit naturel, déclare Francisco Suarez dans son De bello. Le droit à la guerre offensive en tant que puissance coercitive appartient au droit des gens ; le droit à la guerre défensive fait partie du droit naturel.
Dans son grand traité sur le droit de la guerre et de la paix, Grotius tente de montrer qu’entre la guerre et le droit naturel (ou « droit de nature »), il n’y a nulle contradiction : le but de la guerre étant d’assurer la conservation de sa vie et de son corps, de conserver ou d’acquérir les choses utiles à l’existence, ce but est en parfaite harmonie avec les principes premiers de la nature. Parmi les trois sortes de guerres (les guerres défensives, les guerres punitives et les guerres d’acquisition, c’est-à-dire celles que l’on mène pour obtenir ce à quoi l’on a un droit entier), Grotius distingue les guerres légitimes et celles qui ne le sont pas et, parmi les guerres légitimes, celle que le droit des gens (assimilé au droit naturel) justifie et celle que le droit des gens n’interdit pas. Grotius appelle « guerre solennelle du droit des gens » la guerre du premier type. Il reprend à Aristote (contre Platon) l’idée qu’on ne trouve pas dans les sciences morales la même certitude que dans les mathématiques. Entre les extrêmes exclusifs du prescrit et de l’interdit s’étend un milieu, celui du permis. La guerre est du domaine du permis ou du licite et ce caractère est lié à son incertitude même. Cela dit, le philosophe du droit naturel ne va pas jusqu’à soupçonner le caractère équivoque de cette notion qui sert à justifier la paixaussi bien que la guerre étant donné que les conceptions de la nature et de l’état de nature ne peuvent échapper à la relativité.