Le sens de la guerre : La mythologie romaine
La mythologie romaine fait de Vénus, épouse de Vulcain, l’amante de Mars : ainsi était symbolisée l’union de l’amour et de la guerre. Le caractère exclusivement masculin du guerrier — qu’illustre indirectement la dimension irréelle, fantasmatique du mythe des Amazones – conduit un peu partout à l’identification de la virilité comme force physique à la puissance sexuelle. Une virilité d’autant plus louée et cultivée que la guerre est un monde sans femmes et que les tendances et tentations homosexuelles, surtout dans les populeuses armées modernes, y sont grandes. Chez nombre d’apologistes, la guerre est assimilée à une étreinte amoureuse. Ne parle-t-on pas, dans les deux cas, de corps à corps ?
La gloire est l’autre grande vertu ou qualité qui, à elle seule, suffisait à rendre désirable la guerre. Elle a eu une dimension religieuse avant de renvoyer à l’immanence de la mémoire humaine. La gloire est une élection divine, un appel des forces sacrées. Dans la mythologie germanique, les guerriers tués sur le champ de bataille sont emportés par les Walkyries et conduits dans le paradis d’Odin. Le martyr musulman, on l’a vu, était lui aussi promis au paradis d’Allah. Il y a dans la gloire, et même dans la renommée qui lui est inférieure pourtant, un sens d’immortalité où se croisent la valeur objective du héros reconnu comme tel par les puissances d’en haut, et la mémoire fidèle des hommes. Le héros est celui qui est mort pour ne jamais mourir.
Même si l’on écarte la transcendance d’une gloire pensable seulement dans le cadre d’une religion monothéiste, la renommée qu’escomptait le guerrier mort sur le champ de bataille allait bien au-delà de notre médiatique « célébrité » : la reconnaissance avait alors un sens autrement plus profond .
C’est peu de dire que cette gloire acquise à la guerre n’était diminuée en rien par les violences que celle-ci impliquait. Bien au contraire ! A l’opposé des armées et des médias actuels qui tendent (du moins dans les pays démocratiques) à minimiser les pertes du camp adverse, les chroniqueurs de jadis grossissaient volontiers le nombre des victimes ennemies : ainsi fut-il fait pour la prise de Jérusalem par les croisés de Godefroy de Bouillon en 1099 lors de la première croisade.
Ainsi qu’on l’a vu avec l’apologie faite par Don Quichotte, les qualités intellectuelles ne sont pas moins requises que les physiques pour faire la guerre. En plaçant le combattant devant le plus redoutable des dangers, la guerre développe aussi en lui la force de l’intelligence, spécialement sous la forme de la ruse. Celle-ci est le moyen le plus efficace de transformer une faiblesse en force et de contrebalancer une infériorité de départ.
Mais la guerre n’a pas seulement été louée pour sa grandeur. Elle a aussi été chantée pour sa beauté. Ce terme ne doit pas être ici entendu au sens moral (dans l’optique classique, d’origine platonicienne, beauté égale bonté), mais dans son vrai sens esthétique. Certains romantiques comme Novalis ont vu dans la guerre une valeur esthétique universelle. Cette beauté – que contredit frontalement la thématique, plus moderne, de l’horreur – est réputée exister à tous les niveaux, dans toutes les directions. Elle est dans le ton sublime des proclamations (que l’on songe à celles de Napoléon, déjà évoquées), mais aussi, d’abord, dans l’apparence physique du guerrier. C’est une chose que nous avons quelque peu oubliée parce qu’elle ne correspond plus du tout à la sensibilité contemporaine, et aussi, le développement des techniques aidant, parce que le soldat moderne tend à ressembler davantage à un robot qu’à un dieu : les plus beaux atours qu’aient créés les hommes dans toutes les civilisations ont servi de parure au combattant : métaux précieux, cimiers, plumes, casques brillants, tissus de couleurs vives, ciselures, incrustations de pierreries… Il faut également intégrer dans cette esthétique et cette esthétisation de la guerre, la beauté des gestes et des attitudes – que le sport schématisera en les sublimant et que les rites primitifs ont anticipés en les mimant. Les guerres primitives sont presque toujours précédées de danses. Parmi les danses, certaines, comme la pyrrhique des Grecs, sont spécifiquement guerrières ; inversement, nombre de danses stylisent les gestes et attitudes du guerrier. S’ajoutent à ces manifestations les spectacles militaires : triomphes, revues, parades, cortèges, retraites aux flambeaux, etc. La parade est un spectacle, une pièce de théâtre dont la scène est la rue et les spectateurs, le peuple tout entier. Les combats eux-mêmes ont un aspect esthétique qui les apparente au spectacle. La bataille est un ballet qui aurait la mort pour enjeu. Le compositeur Karlheinz Stockhausen a raconté quelle fut sa fascination, durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque, encore enfant, il contemplait la magie de ce spectacle total, « fantastique spectacle son et lumière » que représentait le bombardement de sa ville : vrombissement des avions qui approchent, éclats de tonnerre d’une explosion, mugissements des sirènes, tirs saccadés de la défense antiaérienne, clapotements sourds des canons, le tout sur fond d’éclairs et de gerbes multicolores qui achevaient de planter dans les ruines, la nuit, leurs décors de cauchemar. Le jeune Stockhausen était absolument transporté malgré la destruction qu’il avait sous les yeux.