La guerre selon Hegel
La guerre, selon Hegel, est le fait de l’État qui manifeste grâce à elle son existence parmi les autres États. « L’État est une individualité et la négation est essentiellement contenue dans l’individualité». Chaque État est impliqué dans une lutte pour la reconnaissance : l’histoire universelle est l’application à la totalité de la vie de l’Esprit de « la dialectique du maître et de l’esclave » telle qu’elle a été analysée dans La Phénoménologie de l’Esprit : comme entre les individus, la lutte entre les États est une lutte pour la reconnaissance, et elle est une lutte à mort. Dans Y Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, Hegel écrit : « L’État a enfin cet aspect d’être l’effectivité immédiate d’un peuple singulier et naturellement déterminé. En tant qu’individu singulier, il est exclusivement face à d’autres individus du même genre. Dans leur rapport les uns aux autres, ont place arbitraire et contingence, parce que l’universel du droit, en raison de la totalité autonomique de ces personnes, n’est entre eux qu’un devoir-être, n’est pas effectif. Cette indépendance fait de leur combat un rapport de violence, un état de guerre en vue duquel l’ordre universel se détermine pour devenir le but particulier qui est la conservation de l’autonomie de l’État face à d’autres pour devenir l’ordre de la vaillance ». La guerre, aux yeux de Hegel, empêche les États de périr enfermés dans leur singularité : « Pour ne pas laisser les systèmes particuliers s’enraciner et se durcir dans cet isolement, donc pour ne pas laisser se désagréger le tout et s’évaporer l’esprit, le gouvernement doit de temps en temps les ébranler dans leur intimité par la guerre ; par la guerre il doit déranger leur ordre qui se fait habituel, violer leur droit à l’indépendance, de même qu’aux individus qui, en s’enfonçant dans cet ordre, se détachent du tout et aspirent à l’être-pour-soi inviolable et à la sécurité de la personne, le gouvernement doit, dans ce travail imposé, donner à sentir leur maître, la mort. Grâce à cette dissolution de la forme de la subsistance, l’esprit réprime l’engloutissement dans l’être-là naturel loin de l’être-là éthique ; il préserve le soi de la conscience et l’élève dans la liberté et dans sa force ». L’idée de Hegel a été souvent vérifiée par l’Histoire : la guerre finit tôt ou tard par contraindre les États les plus fermés à s’ouvrir à l’extérieur – et pas seulement dans l’action et le temps de la guerre. En tant qu’esprit fini, l’esprit du peuple doit être surmonté dans l’histoire mondiale universelle « dont les événements sont représentés par la dialectique des esprits-des-peuples particuliers, par le tribunal du monde». Pour Hegel, c’est la guerre qui permet à l’Esprit du monde d’avancer de l’Orient à l’Occident, de la Perse à la Grèce, de la Grèce à Rome, de Rome à « l’empire germanique». On comprend que l’entreprise hégélienne de justification de la guerre ait pu être comprise comme une apologie, d’autant que contrairement à Kant, Hegel croit indépassable la forme État et la conflictualité qu’elle implique.