Grotius
Grotius s’efforce de montrer également que la guerre n’est pas non plus contredite par la loi divine, celle des Écritures. Pour ce faire, il développe une lecture tantôt résolument allégorique, tantôt, à l’inverse, résolument littérale des passages les plus pacifistes des Évangiles. De manière significative, Grotius associe la guerre à la peine capitale et constate que celle-ci n’a pas été interdite par la loi chrétienne puisque non seulement les rois et empereurs chrétiens ont appliqué la peine capitale mais qu’ils n’ont jamais été excommuniés par l’Église pour l’avoir fait. Le philosophe hollandais constate que le soldat n’a jamais été excommunié— ce qui aurait été le cas si la religion avait considéré la guerre comme un grave péché.
Grotius énonce trois «justes causes » à la guerre : la légitime défense contre un agresseur extérieur ; la riposte à un engagement non respecté ; le dédommagement d’un méfait subi, causes qui peuvent se résumer au préjudice subi : la défense, la punition et la récupération. Au rang des motifs légitimes de guerre, Grotius place la défense des frontières et l’outrage fait aux ambassadeurs. La guerre s’apparente à un droit de justice que, faute de supérieur commun, l’on poursuit par la force : le droit porte sur la défense de soi-même, la réparation du tort et même la punition de son auteur. Dès lors que quelqu’un se dispose à nous faire une injure, il nous donne par cela même contre lui un droit illimité, écrit Grotius, ou un pouvoir moral d’agir contre lui à l’infini si l’on ne peut se garantir autrement de ses insultes. Grotius, qui par ailleurs déclare se méfier des « guerres entreprises uniquement pour punir » car elles sont « suspectes d’injustice » et exclut la guerre préventive, semble l’admettre ici et l’on comprend que Kant ait pu accuser son droit de la guerre d’en justifier toutes les formes. Pourtant Grotius critique Tacite qui disait « préférer la guerre à une misérable paix » et inverse ainsi le rapport établi par le républicanisme classique entre la liberté et la vie : « La vie qui est le fondement de tous les biens temporels et nous fournit occasion de travailler à acquérir les biens éternels vaut mieux que la liberté soit que vous considériez l’une et l’autre dans une seule personne ou dans un corps de peuple ». Selon Grotius, il existe d’autres moyens que la guerre pour terminer un différend. Parmi ceux-ci, il mentionne le compromis entre les mains d’un arbitre. C’est la raison pour laquelle il serait, selon lui, « utile et en quelque façon nécessaire que les Puissances chrétiennes fissent entre elles quelque espèce de corps, dans les Assemblées duquel les démêlés de chacune se terminassent par le jugement des autres non intéressées ».